DOSSIER JM Academy
Troubles de l'humeur
La dépression saisonnière
Le trouble affectif saisonnier, plus connu sous les termes « dépression saisonnière » ou « blues hivernal », affecterait une partie non négligeable de la population. Quelles sont les caractéristiques de ce trouble de l’humeur ? Et quelles solutions proposer à notre patientèle ?

Pour commencer, rappelons qu’une petite « baisse de régime » durant la période hivernale n’est pas une condition médicale en soi. « Pour parler de trouble (de l’humeur), il faut qu’il y ait souffrance et interférence avec le fonctionnement de l’individu », rappelle le Pr Charles Kornreich, directeur du service de psychiatrie du CHU Brugmann. « À un ou une patiente qui se plaindrait d’une humeur morose pendant l’hiver, la première question à lui poser devrait donc être : “Est-ce un problème pour vous, au point de modifier vos activités habituelles ?” Car cette tendance à “hiberner” est plutôt naturelle et répandue. Il faut donc se garder de la médicaliser à tout prix, a fortiori si elle n’a pas d’impact notable sur la personne. » Dans le cas contraire, il importe de détecter le trouble affectif saisonnier (TAS) et ce, pour au moins trois raisons : pour exclure un autre trouble de l’humeur, pour empêcher les symptômes de s’aggraver et, le cas échéant, pour prévenir sa récidive les années suivantes.
Diagnostic différentiel
Les symptômes du TAS sont similaires à ceux des autres dépressions (lire encadré). Mais la fatigue, le manque d’énergie, la tristesse, l’envie majorée de manger sucré, l’hypersomnie et le retrait social sont les plus fréquents. Avec une spécificité : selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), la dépression inhérente à un TAS se déploie au cours d’une période spécifique de l’année – le plus souvent, elle commence en automne et se termine au printemps [1] – et se répète sur une période d’au moins deux ans, voire chaque année. « À l’anamnèse, il convient donc de demander à la personne si elle est habituellement plus fatiguée en hiver, si elle déprime, si elle mange davantage (de sucres) et si elle a tendance à se replier sur elle-même », recommande le Pr Kornreich. « La saisonnalité du TAS et sa récurrence dans le temps sont souvent ce qui permet de le différencier d’un autre trouble de l’humeur. » La dépression bipolaire [2], par exemple. Celle-ci présente aussi une cyclicité, mais elle apparait de façon beaucoup plus soudaine que la dépression du TAS. Idem pour les symptômes dépressifs liés à un trouble dysphorique prémenstruel, qui se manifestent quelques jours par mois. Il faut aussi garder à l’esprit qu’une dépression préexistante (non saisonnière) peut s’accentuer durant la période hivernale. Ceci est probablement dû à l’étiologie même du TAS.
Étiologie : une histoire de rythmes
Tous les mécanismes induisant un TAS n’ont pas encore été complètement élucidés. Cependant, plusieurs hypothèses autour des rythmes biologiques expliqueraient le phénomène et les raisons pour lesquelles certaines catégories de la population y sont davantage exposées.
D’abord, les personnes qui souffrent de TAS auraient une rétine moins sensible à la lumière et, par conséquent, à l’inhibition de la mélatonine. Or, celle-ci joue un rôle central dans la régulation des rythmes circadiens, mais aussi saisonniers. D’ailleurs, la mélatonine régule l’hibernation chez les espèces animales concernées.
Ensuite, le chronotype influe sur la propension à faire une dépression saisonnière. Sans surprise, à cause de son exposition moindre à la lumière du jour, la personne « lève-tard/couche-tard » est plus à risque de TAS qu’une « lève-tôt » ! Évidemment, le mode de vie et même l’activité professionnelle jouent aussi un rôle. Quelqu’un qui exerce un métier physique en extérieur (ouvrier communal ou du bâtiment, facteur ou factrice, livreur à vélo, etc.) est davantage exposé à l’ensoleillement que les personnes qui travaillent en intérieur.
Enfin, il y aurait une sensibilité d’ordre génétique au TAS. « En 2017, le prix Nobel de médecine a été attribué à trois chercheurs pour leurs travaux sur les “clock genes” », explique le Pr Kornreich. « Ces gènes-horloge, très anciens, sont essentiels à l’activité rythmique cellulaire puisqu’ils calquent celle-ci sur l’activité terrestre, notamment l’alternance jour/nuit et le cycle des saisons. »
Un phénomène (dépassé) d’adaptation ?
En effet, les clock genes synchronisent toute une série d’autres gènes impliqués dans les principaux rythmes physiologiques : le rythme circadien, bien sûr, mais aussi les dépenses et conservations énergétiques, la température corporelle (qui s’abaisse pendant la nuit), la cicatrisation et la croissance (favorisées pendant la nuit), la sécrétion de cortisol (qui est maximale le matin), etc. Même le système immunitaire semble avoir une saisonnalité : sous nos latitudes, en prévision de l’hiver, l’organisme humain tendrait à anticiper les risques infectieux en augmentant la production de cytokines, créant ainsi un climat pro-inflammatoire qui fatigue naturellement l’organisme. « D’aucuns voient donc dans le TAS un phénomène d’adaptation, hérité de l’évolution : la baisse (naturelle) de certaines activités métaboliques ne conviendrait plus à notre toute récente modernité (électricité, nourriture disponible en abondance, etc.) », explique le Pr Kornreich. « En tous cas, des variants dans les clock genes pourraient aussi expliquer pourquoi certains groupes ethniques seraient plus enclins à présenter un TAS sous nos latitudes. »
« Les personnes qui souffrent de TAS auraient une rétine moins sensible à la lumière et, par conséquent, à l’inhibition de la mélatonine. »
Les traitements comportementaux du TAS
La stratégie thérapeutique pour contrer un TAS consiste essentiellement à lutter contre ses symptômes en en prenant le contrepied. Voici les recommandations à adresser aux personnes concernées :
- Au niveau physique : faire de l’exercice est sans doute le traitement le plus efficace : même si ça peut sembler contre-intuitif à nos patients et patientes, il convient de leur expliquer que l’activité physique leur redonnera de l’énergie et que cette « bonne fatigue » améliorera la qualité de leur sommeil.
- Au niveau social : il faut lutter contre le repli sur soi, se forcer à sortir et continuer à voir et fréquenter des gens.
- Au niveau alimentaire : il convient de limiter les glucides simples (ou « sucres rapides ») et de diminuer ou, mieux, arrêter la consommation d’alcool et autres drogues.
Luminothérapie, compléments et antidépresseurs
La luminothérapie a fait ses preuves dans les dépressions légères à modérées du TAS. Avec un bémol : si les dispositifs se sont quelque peu démocratisés ces dernières années, leur coût (non remboursé) reste un obstacle pour les personnes fragilisées sur le plan économique. En outre, pour être efficace, ce traitement doit être régulier et se poursuivre durant plusieurs mois. Généralement, on recommande une exposition de 30 minutes à 10.000 lux pour les lampes type panneau (qui doivent être posées à moins de 30 cm des yeux), dans les deux heures suivant le lever. Les lunettes de luminothérapie émettent moins de 2.000 lux, mais la très courte distance entre la rétine et la source lumineuse et son angle semblent agir aussi efficacement.
Et les traitements par voie orale ? « Selon certaines études, une supplémentation en vitamine D aurait un effet positif (placebo ?) sur la dépression saisonnière », répond le Pr Kornreich. « En revanche, la mélatonine est contre-indiquée puisque, justement, son inhibition est insuffisante chez les personnes présentant un TAS. Quant aux antidépresseurs, ils sont envisageables uniquement en cas de dépressions sévères ou réfractaires aux autres traitements. »
Notes :
[1] Les désordres saisonniers peuvent aussi, mais plus rarement, se manifester en été.
[2] Lire notre article sur la dépression bipolaire
Signes et symptômes du TAS
· Fatigue et troubles du sommeil ( l’impression de dormir trop, pas assez ou ne pas se sentir reposé·e)
· Augmentation de l’appétit (parfois perte d’appétit), envie majorée de manger des glucides, prise de poids
· Recours ou majoration de la consommation de substances (alcool, drogues)
· Tristesse, désespoir
· Irritabilité, colère
· Anxiété
· Troubles de la concentration
· Perte d’intérêt pour les activités que la personne aime habituellement
· Tendance à l’isolement
· Pensées négatives par rapport à soi
· Pensées morbides ou suicidaires
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
· La différence entre une simple baisse de régime hivernale et le trouble affectif saisonnier (TAS).
· Les symptômes du TAS.
· Le diagnostic différentiel avec d’autres troubles de l’humeur.
· Les hypothèses pouvant expliquer l’apparition d’un TAS.
· Les mesures d’hygiène pouvant être prises pour contrer le TAS.
· Les traitements à proprement parler du TAS.