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SCMR

Soigner sans soigner ? Le paradoxe des salles de consommation

Longtemps cantonnées à l’expérimentation locale, les salles de consommation à moindre risque peinent à s’inscrire dans le paysage médical. Pourtant, les témoignages recueillis par le Parlement wallon lors de récentes auditions révèlent une réalité sanitaire et humaine difficilement contestable. Médecins, magistrats et acteurs de terrain appellent à sortir de l’hypocrisie réglementaire.

Elles ne sont ni des hôpitaux, ni des centres de soins au sens strict. Leur rôle n’est pas de soigner, mais d’encadrer. Et pourtant, dans les salles de consommation à moindre risque (SCMR), certains professionnels de santé trouvent une autre manière d’exercer leur métier. C’est ce qu’a rappelé la Dre Dany Brian lors de son audition devant la commission Santé du Parlement wallon. Médecin à la SCMR Såf’ti de Liège jusqu’à sa fermeture en 2023, elle décrit un quotidien médical en marge du cadre traditionnel, fait d’écoute, d’observation et parfois d’interventions préventives discrètes.

« Ce ne sont pas des lieux de désintoxication, mais quand quelqu’un est prêt à en parler, on est là », insiste la Dre Brian. Pour elle, la médecine n’a pas vocation à rester cantonnée aux couloirs d’un hôpital. Il ne s’agit ni de prescrire, ni de diagnostiquer. Mais entre deux injections, dans un contexte sans rendez-vous ni blouse blanche, la Dre Brian repère un souffle anormal, une plaie infectée, un état de manque. Elle propose un test VIH, oriente vers une infirmière, ou suggère de « passer dire bonjour » à un membre de l’équipe. Rien n’est imposé, tout se joue dans la relation. « On est là pour réduire les risques, mais aussi pour recréer du lien. Et ce lien, c’est déjà du soin », glisse-t-elle.

Quand la santé publique avance sans statut

À Bruxelles comme à Liège, les données s’accumulent. Des milliers d’actes de consommation ont été encadrés dans un environnement sécurisé, sans qu’aucun décès par overdose ne soit signalé. À Liège, la salle Såf’ti a accueilli plus de 900 usagers uniques entre 2018 et 2023, et supervisé plus de 35.000 consommations. À Bruxelles, la salle Gate, gérée par l’ASBL Transit, reçoit entre 40 et 60 personnes chaque jour.

Derrière ces chiffres : une présence stable, un accueil sans condition, un regard non jugeant.  C’est souvent cela qui fait la différence, rappellent les intervenants. « Le rapport de confiance se construit au fil du temps. Cela prend des mois. Mais une fois établi, c’est un levier puissant », résume Laurent Maisse, directeur du pôle seconde ligne chez Transit.

Pourtant, ces effets concrets ne suffisent pas à asseoir la légitimité du dispositif. Les SCMR ne sont reconnues ni comme structures de santé, ni comme services médico-sociaux. Résultat : précarité des statuts, sous-financement chronique et insécurité juridique persistante. « Si demain, il y a un incident grave, qui est responsable ? Le médecin ? L’ASBL ? La Région ? », interroge Julien Fanelli, directeur du pôle réduction des risques & outreach de l’ASBL Transit. Une incertitude qui fragilise tout un dispositif fondé, paradoxalement, sur la stabilité et la confiance.

Le paradoxe des SCMR

Que faire d’un dispositif qui fonctionne, mais qui n’a pas de statut ? Les professionnels saluent une réduction des risques évidente : moins d’injections dans l’espace public, meilleure hygiène, premiers contacts avec le système de soins. Même les magistrats reconnaissent leur utilité : « Ce dispositif évite des délits, réduit les interventions policières inutiles et apaise certaines tensions urbaines », souligne Vincent Fiasse, procureur du Roi de Charleroi.

Mais cette reconnaissance empirique ne s’est jamais traduite sur le plan juridique. Le fonctionnement des SCMR repose sur des accords locaux, parfois tacites, entre communes, magistrats et associations.

Ce flou crée une insécurité tant pour les soignants que pour les citoyens. À Liège, plusieurs élus ont relayé un malaise exprimé par les riverains. « On nous a fait croire que la salle allait améliorer les choses, mais de nombreux habitants et commerçants estiment que la situation s’est dégradée », affirme Jean-Paul Bastin (Les Engagés). Depuis la fermeture de Såf’ti fin 2023, il note une amélioration perçue. Des critiques qui contrastent avec les données sanitaires.

Entre présence symbolique et nécessité clinique

Si les SCMR relèvent d’une stratégie de santé publique, elles ne sont que rarement pensées comme des lieux de pratique médicale. À Liège, la présence d’un médecin était assurée une fois par semaine seulement. Et pourtant, les besoins cliniques sont nombreux. Les usagers présentent fréquemment des infections liées à l’usage de drogue, des troubles psychiatriques non traités, des pathologies somatiques négligées. Brigitte Bouton, inspectrice générale Santé à l’Aviq, parle d’un « double diagnostic » largement répandu, combinant addiction et souffrance psychique profonde. « Il faut un parcours de soins qui soit intégré […] et qui intègre aussi la santé mentale des usagers », plaide-t-elle.

Mais comment intégrer les médecins quand le dispositif reste juridiquement flou, et culturellement marginalisé ? Pour la Dre Brian, la réponse se trouve dans une forme d’engagement éthique. Pour d’autres professionnels, cette présence médicale incarne une continuité possible avec le reste du système de soins, là où les usagers sont souvent perçus comme irrécupérables. Ronald Clavie, président de la Fedito W, le rappelle : « Le fait que ces personnes soient encore en vie est déjà en soi un objectif de santé publique. » Mais pour aller plus loin, il faut décloisonner. Ouvrir les murs invisibles entre santé mentale, médecine générale, travail social. « Il faut un cadre intégré, stable, qui permette d’agir sereinement », insiste Brigitte Bouton. À défaut, les médecins resteront à la marge d’un dispositif pensé… pour accueillir ceux que le système a laissés de côté.

À lire en intégralité sur le site du journal du Médecin.

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Écrit par Laurent Zanella2 juin 2025

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