Remboursement de la logopédie : Vandenbroucke acculé
Alors que les parlementaires s’accordaient sur l’urgence de préparer un texte ouvrant le remboursement de la logopédie monodisciplinaire à tous les enfants, sans critère de QI, une décision du Conseil d’État est venue perturber la séance de la commission Santé.

Quarante minutes de commission parlementaire, pimentées de l’annonce d’un arrêt du Conseil d’État. Il ne fallait rien de plus élaboré pour goûter à deux spécialités belges. Non au chocolat et à la bière (les pompes de la Chambre ont tiré leur dernière goutte d’alcool il y a deux semaines), mais bien au compromis et au surréalisme à la sauce belge.
Ce mardi 3 juin, les parlementaires de la commission Santé se réunissaient pour déposer des propositions de loi. Après quelques amuse-bouches à propos du don de sperme controversé, les élus passent à table. Patrick Prévot (PS), affamé, relance une proposition de loi qu’il porte depuis un peu plus d’un mois à propos du remboursement de la logopédie.
Rétroactes. Jusqu’en juillet 2024, les enfants ayant un QI inférieur à 86 étaient exclus du remboursement des prestations de logopédie monodisciplinaire. En bout de course, la Vivaldi avait pu accoucher d’un accord qui ouvrait ce remboursement à tous les enfants. L’arrêté royal prévoyait toutefois qu’au 1er juillet 2025, les enfants au QI inférieur à 70 (seuil pivot, pour l’OMS, sous lequel l’enfant a un retard mental) ne pourront en bénéficier que si une analyse d’un centre multidisciplinaire décide que la logopédie monodisciplinaire constitue la meilleure thérapie pour cet enfant.
L’art du compromis
« Aussi, il nous revient de bonne source que l’arrêté royal du 17 juillet 2024 ferait actuellement l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État », ajoute l’élu socialiste. « Imaginez toutes les incertitudes que cela pourrait générer. Ce critère de QI, il est, il était et il restera discriminatoire tant qu’il figurera dans un texte de loi », tonne Patrick Prévot. Suivant l’avis du KCE publié fin avril, le député demande donc que soit prioritaire son texte visant à supprimer le critère du QI dans l’accès au remboursement.
C’est ici qu’on sert l’entrée : le compromis à la belge. Pratiquement toutes les familles politiques s’accordent pour qu’une solution soit apportée d’ici au 1er juillet. Seul le Vlaams Belang, dans une parfaite interprétation du tonton aigri en bout de table, en profite pour jouer la carte du communautarisme. « Je pense que nous sommes dans le mauvais parlement », lance Katleen Bury. « Les autorités wallonnes doivent mettre des choses en place, alors qu’en Flandre, des investissements sont faits depuis des années. » La N-VA, sans doute pour des raisons budgétaires, a quant à elle la bienséance de rester silencieuse.
En dehors du VB, tout le monde convient donc que le dossier est urgent. L’opposition (ici, PTB, CD&V et Open Vld) se rallie aux propos de Patrick Prévot et demande qu’on s’organise pour que le texte passe en commission Santé dès la semaine prochaine.
Du côté de la majorité, on forme un mur défensif devant le ministre Vandenbroucke. Jean-François Gatelier (Les Engagés) explique qu’il l’a interpellé en plénière : « Le ministre a expliqué qu’il allait prolonger cet arrêté royal pour un ou deux ans. » Julie Taton (MR) enchaîne : « Je suis maman d’un petit garçon concerné par la situation, donc je sais de quoi on parle. On sera derrière et on ne lâchera pas, mais on a confiance et on écoute notre ministre. » Même son de cloche chez Jan Bertels (Vooruit) : « Le ministre a effectivement assuré que l’arrêté royal sera prolongé au-delà du 30 juin. »
Le surréalisme à la belge
Ni rassasié ni rassuré, Patrick Prévot relance : « On ne peut pas se contenter d’une affirmation selon laquelle le ministre va prolonger un arrêté royal dont on nous dit qu’il pourrait être cassé par le Conseil d’État. Nos sources sont très fiables. Si ce recours aboutit, quid… ? » Mais, à cet instant précis, le socialiste est interrompu. Sa collègue lui glisse un écran sous les yeux. « Ça vient de tomber ! L’arrêté royal est annulé par le Conseil d’État ! », s’exclame Patrick Prévot.
Par un étrange timing décidé en cuisine, le plat de résistance est servi : le surréalisme. On réalise que c’est l’Aviq qui est à l’initiative de l’annulation. Une agence de promotion de la santé a donc diligenté l’annulation d’un acte qui ouvrait l’accès aux soins à tous les enfants. On sent qu’il y a un os. En réalité, l’arrêté royal était vicié. La loi le conditionnait à la réalisation d’une étude pluridsciplinaire préalable, que n’a pas attendue le ministre Vandenbroucke. L’avis du KCE a été rendu neuf mois après l’arrêté royal.
« Lorsqu’une loi conditionne l’intervention du Roi à une étude préalable ou à un avis spécifique, ces éléments ne peuvent être contournés ou différés », confirme Me Lucas Fontaine, avocat spécialisé en matière de santé. « L’argument tiré de l’impossibilité matérielle de réaliser l’étude en amont est balayé, le Conseil d’État relevant que ce retard relevait d’une inertie administrative et non d’une impossibilité juridique. Le gouvernement ne peut revendiquer l'urgence sociale pour contourner les exigences de la loi qu’il doit exécuter. »
Il est important de préciser pourquoi l’Aviq a demandé et obtenu cette annulation. L’agence a fait valoir la surcharge imminente pour les centres de réadaptation ambulatoire (CRA) pour enfants, chargés de réaliser les analyses multidisciplinaires prévues par l’arrêté pour les enfants sous 70 de QI. Les rares centres actifs en Région wallonne fonctionnent sous enveloppe fermée et sont déjà à bout de souffle.
Vous oubliez le dessert !
En commission Santé, Patrick Prévot conclut : « Nous sommes des parlementaires, le Parlement peut travailler aussi ! J’espère vraiment pouvoir faire ça la semaine prochaine. Mon texte est dans le pipe ! Et si vous n’êtes pas d’accord de travailler dessus, je le déposerai quand même. Chacune et chacun devra alors se positionner en son âme et conscience et faire face à ses responsabilités ! »
Repus, les élus closent le sujet et quittent la table. Dommage qu’ils n’aient plus eu de place pour le dessert. Dans la fébrilité provoquée par la publication du Conseil d’État (et on ne peut pas la leur reprocher), les élus n’ont pas relevé que la juridiction, malgré l’annulation, maintenait les effets de l’arrêté royal jusqu’au 15 septembre 2025. Un sursis accordé non tant pour la classe politique que pour les familles qui avaient entamé une thérapie de logopédie pour leur enfant.
En parallèle, le Conseil d’État enjoint l’État belge d’adopter une solution réglementaire avant cette date. Cerise sur le gâteau, ce tacle de l’Aviq à Franck Vandenbroucke, validé par le Conseil d’État : « Malgré habilitation dès 2019, le gouvernement n’a adopté l’arrêté royal qu’en juillet 2024, plus de cinq ans plus tard, alors que le ministre a été interpelé à de très nombreuses reprises au cours de cette période. Rien ne justifie pareil délai. Ce comportement pourrait être qualifié de fautif. Il n’est plus admissible que le ministre retarde encore son intervention, paralyse ainsi l’action législative et nie littéralement les pouvoirs parlementaires. » Ambiance…