Transplantation rénale : un nouvel espoir pour les patients hyperimmunisés
L’imlifidase, principe actif d’un nouveau médicament approuvé et remboursé depuis un an, rend la transplantation rénale à nouveau envisageable pour certains patients hyperimmunisés, jusqu’ici condamnés à la dialyse à vie.

Près de 15 % des patients en attente de greffe rénale sont dits « hyper immunisés » : leur organisme développe une forte concentration d’anticorps anti-HLA, ce qui rend extrêmement difficile la recherche d’un organe compatible. Condamnés à rester des années sur liste d’attente, ces patients voient aujourd’hui apparaître une nouvelle lueur d’espoir grâce à l’imlifidase (Idéfirix®), une enzyme capable de neutraliser temporairement ces anticorps.
Approuvé et remboursé depuis juin 2024, le médicament ouvre une « fenêtre » de quelques heures durant laquelle une greffe devient possible. Un protocole national encadre strictement son usage, réservé aux patients adultes de moins de 65 ans, dialysés de longue date, en liste d’attente Eurotransplant depuis plus de trois ans. Cette avancée reste complexe à mettre en œuvre et nécessite une coordination multidisciplinaire, une compatibilité croisée parfaitement étudiée et une vigilance post-opératoire accrue, notamment face au risque de rebond immunitaire. Elle pourrait néanmoins marquer un tournant dans la prise en charge de cette catégorie de patients jusqu’ici largement exclue des transplantations.
Pour la première fois aux Cliniques universitaires Saint-Luc, cette thérapie innovante a permis une greffe rénale chez un patient de 59 ans hyperimmunisé dialysé depuis plus de dix ans. La Pre Nada Kanaan, néphrologue aux Cliniques et membre de l’équipe de néphrologie-transplantation qui a réalisé cette opération, revient sur les portes qu’ouvrent cette nouvelle enzyme.
Le journal du Médecin : Comment fonctionne l'imlifidase ?
Pre Nada Kanaan : Il s’agit d’une enzyme dérivée du streptocoque pyogène qui scinde et dégrade spécifiquement les immunoglobulines IgG. Ce clivage rend ces anticorps incapables d’effectuer leurs fonctions cytotoxiques.
En quoi cette approche de désensibilisation diffère-t-elle des précédentes ?
Les approches de désensibilisation existantes combinent l’épuration des anticorps et le blocage de leur production. Ces traitements doivent être débutés plusieurs semaines avant la transplantation. C’est envisageable en cas de transplantation par rein de donneur vivant, mais c’est impossible pour les patients inscrits sur liste d’attente de transplantation par rein de donneur décédé, chez qui l’appel à la greffe ne peut être planifié. L’avantage de l’imlifidase (IML) est qu’elle neutralise rapidement tous les anticorps IgG, y compris ceux qui se dirigent contre les antigènes HLA du donneur. Il suffit donc de quelques heures pour convertir un crossmatch positif en négatif et permettre la transplantation rénale.
Quelle est la durée de cette « fenêtre thérapeutique » ouverte par l'imlifidase ?
L’IML permet de neutraliser les anticorps en quatre à six heures. La conversion du crossmatch quatre heures après l’administration de l’IML permet de faire la transplantation.
Vers un élargissement des critères ?
Quels sont les risques associés à l'utilisation de l'imlifidase ?
Grâce à la neutralisation des anticorps, l’IML permet de procéder à la transplantation. Cependant, la production d’anticorps IgG resurgit dans les trois jours après l’administration de l’IML. Il existe par conséquent un risque de rejet médié par les anticorps. Aussi, la déplétion des anticorps associée à une immunosuppression très lourde peut augmenter le risque infectieux.
Quelle proportion de patients en Belgique pourraient potentiellement bénéficier de cette nouvelle option chaque année ?
En Belgique, environ 15 % des patients sur la liste d’attente sont hyperimmunisés. De ces 15%, les patients potentiellement éligibles doivent répondre à des critères très spécifiques en termes d’âge, de taux d’immunisation, de temps passé en dialyse et de capacité à tolérer un traitement immunosuppresseur lourd ainsi qu’un suivi strict après la greffe.
Pourquoi limiter l'indication aux patients de moins de 65 ans ? Est-ce une limite médicale, éthique, logistique ?
La limite est plutôt historique, 65 ans correspondant à l’âge de la retraite. Ce critère pourrait être revu ultérieurement.
Quelles perspectives voyez-vous pour un élargissement des indications ?
Les indications pourraient être élargies à un âge supérieur à 65 ans pour des patients en excellente forme. On pourrait également envisager un temps de dialyse plus court pour les patients extrêmement hyperimmunisés.
Travail d'équipe
Dans les faits, comment s’organise la coordination entre les équipes de prélèvement, d’analyse de compatibilité et de transplantation lors d’une greffe sous imlifidase ?
Les coordinateurs de greffe reçoivent l’offre de rein via Eurotransplant. Ils communiquent avec l’équipe immunologique pour vérifier si les critères retenus pour les anticorps anti-HLA sont remplis. En parallèle, l’équipe chirurgicale vérifie les caractéristiques du greffon proposé. Le patient est appelé par la coordination pour se rendre à l’hôpital. La dose d’IML est donnée par voie intraveineuse en 15 minutes. Quatre heures plus tard, un crossmatch est effectué par le laboratoire HLA pour vérifier sa conversion et s’assurer de l’absence d’anticorps spécifiques contre le greffon. C’est seulement lorsque le crossmatch est négatif que l’équipe chirurgicale peut procéder à la transplantation.
À quoi doit veiller le reste du corps médical vis-à-vis d’un patient greffé ?
Le risque de rejet humoral médié par les anticorps est significatif surtout les six premiers mois suivant la greffe. La première année, le suivi est assuré par l’équipe de transplantation-néphrologie afin de détecter et de prendre en charge toute complication rénale ou infectieuse. Par la suite, le suivi doit continuer à se faire avec vigilance, sous la supervision de spécialistes dans le domaine de la transplantation.