
Alan Garber, l’irréductible Gaulois face à l’empire Trump
Le président de Harvard, peu connu hors des cercles académiques américains, est devenu en quelques mois une figure centrale de la résistance au projet de reprise en main idéologique des universités par l’administration Trump. Médecin, économiste et chercheur aguerri, Alan Garber est devenu malgré lui héros d’un monde académique assiégé.
Alan Michael Garber, 69 ans, n’était pas destiné à occuper la présidence de la plus prestigieuse université américaine. Médecin diplômé de Stanford, économiste formé à Harvard, chercheur reconnu en politique de santé, il aura passé plus de deux décennies à Stanford comme professeur et clinicien au Veterans Affairs Medical Center de Palo Alto. Son nom, respecté dans les cercles de la santé publique pour ses travaux sur les coûts de l’innovation médicale, restait inconnu du grand public. Jusqu’à ce qu’une crise de gouvernance qui a ébranlé Harvard le propulse, début 2024, au sommet d’une institution en plein chaos.
De la « provosture » à la crise
Nommé provost – équivalent du recteur académique – en 2011 par Drew Gilpin Faust, historienne et première femme présidente de l’Université Harvard, il était alors choisi pour sa capacité à bâtir des consensus. « Il avait une voix calme et éthique », dira d’ailleurs la Pre Faust, qui dut le convaincre à plusieurs reprises avant qu’il accepte le poste. Pendant douze ans, il reste en retrait, au cœur du réacteur mais loin des feux médiatiques.
Tout bascule avec la démission de Claudine Gay, première présidente noire de Harvard, forcée de quitter ses fonctions en janvier 2024 après une série de controverses autour de sa gestion des accusations d’antisémitisme sur le campus. Alan Garber, doyen le plus expérimenté, devient président intérimaire – puis président en titre à l’été 2024, reconduit jusqu’en 2027 dans l’espoir de stabiliser l’université .
Un homme de science face à l’assaut politique
La fonction présidentielle devient alors politique. Le président Trump, de retour à la Maison-Blanche, lance une offensive frontale contre les universités dites "woke", accusées d’endoctriner les étudiants. En ligne de mire : Harvard, menacée de perdre deux milliards de dollars de financements fédéraux, voire son statut d’institution à but non lucratif.
Alan Garber tente d’abord de dialoguer. Il accepte de collaborer avec la task force fédérale sur l’antisémitisme. Mais en avril 2025, une demande inédite de la Maison-Blanche – droit de regard sur les embauches, admissions, programmes – franchit la ligne rouge. Alan Garber contre-attaque dans une lettre publique : « Aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne devrait dicter ce que peuvent enseigner les universités privées, qui elles peuvent admettre ou recruter, ni les champs de recherche qu’elles peuvent explorer. »
Depuis cette riposte, il est devenu une figure de la défense de l’autonomie universitaire. Il a déposé plainte contre le gouvernement fédéral, au nom de la liberté académique. Certains le saluent comme un héros. D’autres l’accusent de céder trop de terrain aux exigences conservatrices.
« Nous devons défendre ce qui a fait la force de nos universités depuis la Seconde Guerre mondiale : leur capacité à produire de la connaissance librement, dans l’intérêt de tous. »
Un habile diplomate...
Ce paradoxe fait la singularité d’Alan Garber : critique lucide de la culture de son université, il partage, du moins partiellement, certains constats de ses adversaires (même Donald Trump). Il admet qu’Harvard a laissé prospérer l’antisémitisme sur son campus, qu’elle a parfois marginalisé les voix dissonantes, et qu’elle doit retrouver un pluralisme intellectuel. « Le problème n’est pas qu’il n’y a rien à corriger, mais la manière dont on veut nous y contraindre », résume-t-il .
Sous son mandat, Harvard a modifié sa politique disciplinaire, mis fin à certaines cérémonies de remise de diplômes réservées à des groupes identitaires, et instauré une règle interdisant à l’université de prendre position sur des sujets extérieurs à sa mission première. Une manière de désamorcer les polémiques publiques.
... et un réformateur malgré lui
Ses décisions déplaisent aux deux camps. Les républicains l’accusent de résistance passive et les étudiants progressistes dénoncent une stratégie des apparences. Mais Alan Garber avance, certain que la survie de l’université passe par une réforme interne assumée.
Lui qui voulait prendre sa retraite administrative pour reprendre l’enseignement se retrouve à porter, presque seul, la défense d’un modèle universitaire américain fragilisé. « Ce moment est inédit », confie-t-il dans une interview adressée au New York Times(1). « Nous devons défendre ce qui a fait la force de nos universités depuis la Seconde Guerre mondiale : leur capacité à produire de la connaissance librement, dans l’intérêt de tous. »
Son style de direction repose sur l’écoute, la discrétion et le souci du compromis. Il se dit motivé par une seule chose : permettre à ceux qu’il encadre de réussir. « Je suis à un moment de ma vie où ce qui me rend le plus heureux, c’est de voir les autres réussir grâce à mon soutien », expliquait-il au moment de sa nomination comme provost. Un an et demi plus tard, le médecin-économiste se retrouve en première ligne d’un bras de fer sans précédent avec l’administration fédérale. Et les regards du monde académique – bien au-delà des États-Unis – sont désormais tournés vers Harvard et son président.
Références :
1. Gina Kolata et Jeremy W. Peters, « Harvard’s President Is Fighting Trump. He Also Agrees With Him », The New York Times, 3 mai 2025. En ligne : https://www.nytimes.com/2025/05/03/us/harvard-alan-garber-trump-administration.html (consulté le 5 mai 2025).