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Critical Medicines Act

L’Europe face à sa dépendance pharmaceutique

Le Parlement européen avance sur le Critical Medicines Act, un règlement destiné à sécuriser l’approvisionnement en médicaments essentiels. Dans un contexte marqué par des pénuries récurrentes et une dépendance accrue aux importations, ce texte incarne une tentative de réponse stratégique à une fragilité devenue structurelle.

Commission européenne ENVI 4 septembre 2025

La pandémie de covid-19, puis la guerre en Ukraine, ont mis en lumière la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques européennes. Antibiotiques, anticancéreux, anesthésiques : les ruptures de stock se sont multipliées, perturbant la pratique médicale et la dispensation en officine.

Dès la fin de l’année 2023, Hugues Malonne, administrateur général de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), insistait sur la nécessité d’un cadre européen. À la veille de la présidence belge du Conseil de l’UE (1er janvier–30 juin 2024), il rappelait que l’une des priorités du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke serait de « traiter la problématique des indisponibilités en poussant l’idée d’un Critical Medicines Act ».

Frank Vandenbroucke lui-même soulignait alors qu’« il n’existe pas de solution miracle pour résoudre les problèmes d’approvisionnement de l’Europe. Le Critical Medicines Act doit être considéré comme une boîte à outils dotée de différents instruments. »

De l’idée au texte législatif

Le rôle de la présidence belge a permis d’accélérer la dynamique politique autour du projet. Mais il aura fallu plus d’un an pour voir émerger une proposition concrète. Le Critical Medicines Act, ou règlement européen sur les médicaments critiques, a été présenté le 24 avril 2025. Le texte prévoit l’élaboration d’une liste européenne des médicaments critiques, qui regroupe déjà plus de 270 substances actives jugées indispensables. L’objectif est double : identifier les vulnérabilités des chaînes de production et mettre en place des instruments correcteurs.

« Les citoyens européens ne peuvent plus être laissés dans l’incertitude face à des pénuries de médicaments essentiels », exprime la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides. « Nous devons garantir leur disponibilité et réduire notre dépendance à l’extérieur. »

Cette dépendance réelle. Selon les ministres de la Santé de 11 États membres, « l’Europe dépend aujourd’hui à 60–80 % de l’Asie pour ses médicaments critiques » [1]. Une dépendance jugée « dangereuse », qui justifie des mesures de soutien à l’industrie pharmaceutique européenne.

Pour pallier la situation, les leviers proposés s’articulent autour de plusieurs priorités : relocaliser certaines productions stratégiques, diversifier les fournisseurs, imposer aux industriels des plans de résilience obligatoires et recourir à des appels d’offres conjoints entre États membres pour mutualiser les achats.

Pour concrétiser ces ambitions, un financement initial de 80 millions d’euros est prévu pour la période 2026–2027. Il sera destiné à soutenir les investissements dans la production de principes actifs et les projets considérés comme stratégiques.

Michele Picaro, rapporteur Commission ENVI

« Le règlement vise à garantir un accès sûr et équitable aux médicaments essentiels, en soutenant la capacité productive de l’Union » - Michele Picaro, rapporteur.

Les nouveaux outils du Critical Medicines Act

- Observatoire européen des pénuries : pour suivre en temps réel l’offre et la demande, identifier les risques et anticiper les ruptures.
- Plans de résilience obligatoires : chaque industriel devra présenter ses capacités de production, ses fournisseurs et ses scénarios de gestion de crise.
- HERA (Health Emergency Preparedness and Response Authority) : l’autorité européenne créée après la pandémie de covid-19 interviendra en cas d’urgence sanitaire pour coordonner achats conjoints, constitution de stocks et coopération internationale.
- Projets stratégiques : labellisés comme prioritaires, ils bénéficieront d’une procédure accélérée et d’un accès facilité aux financements.

Un texte toujours en discussion

Réunie à Bruxelles le 4 septembre, la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen a examiné le texte et les amendements proposés.

Le rapporteur, Michele Picaro (Conservateurs et réformistes, centre-droit), a rappelé que « le règlement vise à garantir un accès sûr et équitable aux médicaments essentiels, en soutenant la capacité productive de l’Union ».

Le débat a porté sur un point central : comment accélérer les relocalisations tout en respectant des standards environnementaux élevés ? Tiemo Wölken (S&D, centre-gauche) a prévenu que « la procédure accélérée ne doit pas conduire à un affaiblissement ou à un contournement des règles environnementales existantes ». Stine Bosse (Renew, centre-droit) a plaidé pour une approche équilibrée : « Nous pouvons et nous devons faire les deux. Il est vital que les médicaments soient effectivement disponibles pour les patients […]. Tout aussi important est de protéger l’environnement et de veiller à maintenir les normes conçues pour préserver la santé des personnes. »

Pour Tilly Metz (Verts/ALE), l’équilibre passe par un renforcement explicite des critères écologiques : « Les projets qui investissent dans la réduction de la pollution, le traitement des eaux usées ou l’amélioration du respect des normes environnementales doivent être encouragés et éligibles au statut stratégique. […] Les règles en matière de marchés publics doivent aller plus loin : les critères environnementaux doivent véritablement peser dans l’attribution des contrats. Et enfin, un point trop souvent oublié : nous avons besoin d’une reconnaissance explicite de la résistance aux antimicrobiens. »

La Commission européenne, par la voix de Bruno Gautrais (DG Santé), a confirmé sa ligne : « Nous voulons simplifier et accélérer les procédures, sans abaisser les normes. […] Bien entendu, il ne s’agit pas ici de réduire la législation environnementale, mais l’appel à la simplification et à la rationalisation est entendu et très clair. »

Le débat illustre une divergence stratégique : faut-il avant tout garantir une souveraineté industrielle rapide, quitte à alléger certaines contraintes, comme outre-Atlantique, ou bâtir un cadre plus exigeant mais plus lent, intégrant pleinement les enjeux environnementaux et de santé publique ? Le compromis entre compétitivité et durabilité sera au cœur des prochains échanges en plénière.

Ce que le Critical Medicines Act change pour les prescripteurs

- Antibiotiques : les ruptures de pénicillines et de macrolides, fréquentes ces dernières années, devraient être mieux anticipées grâce aux plans de résilience obligatoires et à l’Observatoire européen des pénuries.
- Anticancéreux : la relocalisation de certaines productions stratégiques vise à sécuriser l’accès aux traitements essentiels (ex. méthotrexate, cisplatine), dont les retards d’approvisionnement ont déjà perturbé les protocoles thérapeutiques.
Anesthésiques et soins intensifs : produits critiques en chirurgie et réanimation (propofol, curares) seront intégrés à la liste européenne des médicaments essentiels, avec un suivi renforcé pour éviter les situations de rationnement observées pendant le covid-19.
Approche transversale : la commande publique devra désormais prendre en compte la fiabilité d’approvisionnement et la durabilité, limitant le risque que le « moins-disant » économique entraîne de nouvelles pénuries.

Et après ?

L’examen en commission n’est qu’une étape. Le texte doit désormais passer en séance plénière au Parlement européen (attendue à l’automne), avant d’entrer en trilogues avec le Conseil et la Commission. L’issue dépendra de la capacité à trouver un compromis entre rapidité d’action, standards environnementaux et exigences industrielles.

Le Critical Medicines Act s’inscrit dans un paquet plus large de révision de la législation pharmaceutique. « Ce règlement industriel complète la révision en cours de la législation pharmaceutique. Ensemble, ces textes doivent garantir l’innovation, la compétitivité et un accès équitable aux médicaments », conclut Bruno Gautrais.

[1] EU has ‘dangerous’ dependency on Asia for critical medicines, say 11 health ministers, Pharma Manufacturing, consulté le 10 septembre 2025.

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Écrit par Laurent Zanella16 septembre 2025
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