Budget soins de santé 2026
Dans les coulisses du Comité de l'assurance
Les travaux pour boucler un budget pour 2026 ont continué de battre leur plein, ce week-end, dans l’espoir de pouvoir en présenter l’épure au Parlement demain (en pleine grève nationale…), deuxième mardi d’octobre, comme c’est de coutume. Le Premier pourra-t-il tenir son discours de politique générale, acmé de longues semaines de négociations ? L’exercice est terriblement compliqué, cette année, tant les milliards à trouver pour réduire le déficit sont nombreux. Bart de Wever a déjà laissé sous-entendre que les discussions pourraient se prolonger (un non-accord à la date-butoir ne serait toutefois pas une première belge).
Il y a exactement une semaine, le Comité de l’assurance échouait de son côté à trouver une proposition de budget santé à présenter à l’Inami et au gouvernement (pas une première non plus). Pourquoi ? Que s’est-il passé, exactement, autour de la table où siègent notamment les représentants des médecins ?
Le Comité de l’assurance réunit 22 personnes sur le banc des prestataires (syndicats médicaux, hôpitaux, pharmaciens, kinés, dentistes, …) et 22 du côté des organismes assureurs (qui votent généralement d’une seule voix). Sa mission est double : définir un projet de budget, mais également un cadre de répartition sectorielle. Pour que la proposition de budget passe, il faut une majorité sur chaque banc. Lundi dernier, du côté des prestataires, le « non » l’a emporté, avec 11 voix contre (dont celles de l’Absym, du GBO/Cartel, d’ADM, de l’Unessa, des dentistes), 9 voix pour (pharmaciens, kinés, infirmiers) et 2 abstentions.
Les syndicats médicaux reprochent principalement l’aspect arbitraire du montant des économies que le ministre fédéral de la Santé veut imposer au corps médical. Frank Vandenbroucke veut économiser 907 millions d’ici 2026, dont 600 dans l’exercice actuel. Après efforts, notamment dans le secteur pharma, restent 247 millions, que le ministre ventile ainsi : 150 millions à charge des médecins, 50 millions pour les hôpitaux et 47 millions à charge des autres secteurs.
Ego nominor leo...
« Expliquez-nous pourquoi 150 millions pour nous ? », demandent en chœur, et de bonne foi, les syndicats des médecins. Les estimations techniques à la date de septembre affichent en effet « seulement » 31 millions de dépassement. Par ailleurs, les médecins viennent déjà de se serrer le ceinture, à hauteur de 73 millions (dont 68 via la suppression des téléconsultations) pour couvrir un déficit de 2024 - « rattrapage en 23-24 des interventions reportées pendant le covid en 2021 », précise le Dr Jacques de Toeuf, de l’Absym, « puis on nous a dit : ‘’en 2025, ça va très mal, vous êtes priés de faire 62 millions d'économies’’, ce qu'on a encore accepté… » (somme inscrite en juin dernier et à présent soumise au Conseil d’État pour exécution au 1er janvier 2026). Les 150 millions supplémentaires exigés ces dernières semaines – cinq fois plus, donc, que les estimations techniques -, assortis du mutisme du ministre qui refuse de justifier cette somme, ont été la goutte qui fait déborder le vase. « On veut bien payer ce qu'on doit, mais qu’on nous prouve que nous avons bien 150 millions à payer », s’étonne le Dr Marcel Bauval, du GBO/Cartel. « J’ai posé la question plusieurs fois, en vain. C’est le fait du prince, ‘ego nominor leo’… »
Le poids budgétaire des médecins dans le budget total avoisinant les 30 % (environ 12 milliards sur les 40), les médecins ont contre-proposé des économies à hauteur de 90 millions, soit un tiers des 150 exigés. « On nous rétorque que les autres secteurs ne savent pas avaler de telles économies, qu’on vise ‘’les épaules les plus larges’’ et qu’il y a des abus dans les prestations médicales… Et pas chez les kinés ni les dentistes ? », s’insurge le Dr de Toeuf. « Un dépassement réel de 31 millions sur un budget de 12 milliards, ça n'est pas si mal, nous ne sommes de mauvais gestionnaires à notre niveau. Alors pourquoi nous ? », renchérit le Dr Bauval.
« Les mutuelles ont fait l’impossible pour être dans une vraie co-construction des économies ‘râpe à fromage’, revenant avec des corrections encore le samedi matin pour que tout le monde puisse marquer son accord, mais le délai était trop court pour se concerter », tient par ailleurs à souligner Jacques de Toeuf.
Une lettre de mission péremptoire
À l’aspect quelque peu dictatorial du montant d’économies infligées aux médecins s’ajoute le côté péremptoire de la « lettre de mission » du ministre de la Santé – une vraie première, elle. Pour rappel, Frank Vandenbroucke a envoyé à l’Inami, le 22 juillet, une lettre dans laquelle il cadenasse déjà la future concertation sur le budget.
D’habitude, le Comité de l'assurance fait une proposition, le Conseil général le remercie et objecte : ‘Là, je ne suis pas tellement d'accord’, ‘Vous mettez trop pour ce secteur et pas assez pour celui-ci’, etc. Il s’agit donc de corrections a posteriori. La lettre de mission impose d'emblée des corrections a priori. Elle anticipe bien avant les discussions budgétaires, en présentant un exercice préalable, sans les dispositions légales imposées par la loi santé (qui passera en fin d’année).
« Puisqu'on est dans un système de concertation, il faut quand même laisser de la souplesse, dans le respect des prérogatives du gouvernement, et tenir compte de la participation de tous les acteurs de santé pour faire un bon équilibre entre d'une part, le cadre budgétaire, qui doit être relativement général, et d'autre part, l'exécution d'un plan de santé », nuance le Dr Bauval. Terminé le temps du « Voici ce que j’aimerais, arrangez-vous entre vous », cette année, le ton est clairement directif. Et met à mal la confiance entre partenaires, alors qu’un nouvel accord médico-mut doit être bouclé, dans quelques semaines, pour 2026-2027.
Cette lettre est-elle potentiellement illégale ? Bien que rédigée comme si la loi était déjà d’application alors que ce n’est pas le cas, les termes utilisés sont relativement prudents, évoquant des « pistes possibles » sans vraiment imposer… « Une fois le budget décidé le troisième lundi d'octobre, s'ouvre la possibilité - mais il faudra voir comment le budget sera motivé - la possibilité théorique de contester au Conseil d'État (section administrative) la façon dont le budget a été élaboré dans le non-respect des procédures légales actuelles », observe le Dr de Toeuf. À noter que la lettre aurait dû être envoyée avant le 22 en principe, comme stipulé dans l’avant-projet de loi-cadre envoyé au Conseil d'État - « le Conseil des ministres peut établir, au plus tard le 20 juillet, une lettre de mission… »- et que « Si la lettre de mission n’est pas remise ou n’est pas remise à temps, elle ne doit pas être prise en considération dans le cadre du processus budgétaire » (section X).
Des budgets "non dépensables"
Les représentants du corps médical regrettent par ailleurs que certains budgets, qui pourraient être utilisés pour combler des déficits ou « de façon plus judicieuse », soient bloqués, des budgets non financés structurellement mais auxquels on ne peut pas toucher, ils sont déclarés « non dépensables » par le cabinet, notamment dans les soins transversaux (New Deal, "covid +", malades chroniques) qui représentent la première ligne budgétaire (la « zéro »). Un « tabou » que les médecins ne comprennent pas. « Vandenbroucke est très intelligent et ses idées, basées sur la doctrine de l’État social actif cher à Tony Blair, ne sont pas fondamentalement mauvaises, mais quand il a une idée en tête, il n’en démord pas… », regrette un médecin.
Ce côté psychorigide agace de plus en plus les médecins. Le ministre a par ailleurs déjà mis les limitations de suppléments d'honoraires dans son projet de loi-cadre, alors qu’il affirmait que ceux-ci devaient être liés à la réforme de la nomenclature et du financement hospitalier qui, semble-t-il, ne sont guère avancés… Les médecins ont de quoi se sentir un peu floués, et se méfient de ce que l'avenir pourrait leur réserver. « Déjà, lors de sa mandature précédente, il s'était engagé devant tous à terminer la réforme hospitalière et de la nomenclature pour la fin de la Vivaldi, donc pour il y a deux ans », rappelle le Dr de Toeuf.
La piste du ticket modérateur indexé
Le ministre franchira-t-il la « ligne rouge » des mutuelles en augmentant le tiers payant sur les consultations, comme proposé par les syndicats médicaux ? Le ticket modérateur n’a plus été indexé depuis plus de dix ans. Chaque fois que l'inflation augmente, la part relative du patient (qui, lui, bénéficie de l’index sur son salaire, sa pension ou ses allocations) diminue. L’une des pistes pour renflouer le budget est de l’augmenter. « Nous comprenons que la sécurité sociale et l'État ne sont pas florissants et nous voulons bien consentir des efforts, mais tout le monde doit y participer, y compris le patient, tout en protégeant les plus vulnérables, comme les BIM, qui doivent être tenus à l’écart d’une indexation », précise Marcel Bauval. Régulariser le ticket modérateur d’un euro permettrait d’engranger aisément plus de 100 millions. Mais les mutuelles s’opposent fermement à cette mesure (Solidaris rembourse l’intégralité des tickets modérateurs de ses membres…).
La décision reviendra in fine au Conseil des ministres, qui devra faire une proposition de budget au Conseil général mardi prochain. Vingt personnes y siègent, des représentants des syndicats, des patrons, des mutuelles et de cinq ministères, il faut l’unanimité des cinq membres du gouvernement pour que la proposition de budget passe.