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" La transsexualité n'est pas une maladie mentale ! "

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Récemment, le budget des soins de santé 2016 allouait 1,17 millions d'euros " pour un bon encadrement multidisciplinaire des soins et de l'accompagnement des personnes en cas de dysphorie de genre. " Les soins transgenres prennent une ampleur toujours plus grande dans une société qui ne les reconnaissait pas jusqu'il y a peu. Cette vérité, nous avons tenté de la comprendre par l'interview de Genres Pluriels, association soutenant les personnes transgenres (Jdm n°2412). Frédéric Burdot, psychologue-psychotherapeute au sein de l'équipe de genre de Liège, a tenu à réagir aux leurs propos (entretien intégral).

Le journal du Médecin : Vous avez déjà eu des antécédents avec Genres Pluriels ? Sur quels points ?

Frédéric Burdot : Il nous est déjà arrivé d'avoir des échanges par le passé. Souvent, ils ont tendance à critiquer activement le travail accompli par les équipes d'accompagnement. Ils nous accusent, notamment, de psychiatriser (encore faut-il s'entendre sur la signification de ce terme) les individus qui s'adressent à nous. Ils nous attribuent une attitude qui consisterait à déshumaniser les personnes afin de les ranger dans des nosographies psychiatriques et de les contraindre à effectuer l'une ou l'autre intervention. Il n'en est évidemment rien. Si nous mettons en place une évaluation psychologique et psychiatrique au début de l'accompagnement, c'est avant tout pour s'assurer du degré de responsabilité et de libre arbitre inhérent à la demande.

L'objectif de l'accompagnement est de pouvoir aider les personnes à atteindre un degré de confort et de développement personnel maximal relatif à leur souhait. Il s'agit, avant tout, d'être sûr que leurs motivations ne sont pas le fruit d'une influence externe ou d'une désorganisation mentale qui les empêcherait d'y voir clair. Passé cette évaluation, nous suivons au plus près le désir de transformation afin de donner aux sujets un accompagnement psychologique de qualité dont l'objectif est de faire réfléchir à l'acte qu'ils posent, à sa nature irréversible, à la place de la chirurgie, à la question de l'identité trans et à sa place dans leur développement personnel. Nous essayons au maximum de constituer une base solide sur laquelle les personnes pourront s'appuyer pour déplier toute la complexité de leur demande et en comprendre le sens qu'elle prend dans leur vie. Bref, nous sommes très loin d'un endoctrinement psychiatrisant qui classerait des patients et imposerait des chirurgies obligatoires.

Genres Pluriels exerce avant tout une fonction de militantisme et de revendication de droits, ce qui semble très nécessaire à l'intégration sociale des personnes concernées par la transidentité. Leur critique des équipes se construit sur base de ce militantisme : libérer le suivi Trans d'un protocole d'intervention unique et particulier qui associe les trans à de la psychiatrie et qui impose une seule possibilité d'évolution : le diagnostic et la chirurgie. Pour eux (mais comme pour nous aussi), la transidentité n'est pas une pathologie mentale et ils s'insurgent contre les classifications. Bien qu'ils nous accusent du contraire, nous sommes tout à fait d'accord avec eux sur ce point.

Y-a-t-il d'autres points d'accord avec Genres Pluriels ?

Ils ont le mérite d'avoir conceptualisé la notion de fluidité du genre. Pour eux, le sexe est purement biologique et le genre n'est pas lié au sexe. Ils refusent la notion de binarisme genré et donc le classement des individus en purement masculin ou féminin. Bien qu'ils nous accusent ouvertement et violement d'appliquer ce binarisme, nous sommes assez d'accord de voir le sexe et le genre comme un éventail de possibilité, la majorité des individus se situant entre les pôles du continuum. Ils nous reprochent de nous référer à cette notion de binarisme pour contraindre nos " patients " à choisir mâle ou femelle via des protocoles chirurgicaux de réassignation. Il n'en est absolument rien. Notre volonté est de proposer un accompagnement de qualité qui aide la personne à se positionner personnellement et librement dans ce continuum, de l'aider à comprendre le sens de ces chirurgies et traitements non obligatoires selon nous.

Nous nous rejoignons dans la critique sociétale et juridique qui continue à obliger la chirurgie et l'hormonothérapie pour effectuer les modifications administratives. Le changement d'identité sur la carte d'identité est encore conditionné à une chirurgie obligatoire, ce qui est fort regrettable, car on sait que la chirurgie ne change pas le sexe. Tout au plus, elle modifie l'apparence des organes. Ce n'est pas ce qui fera d'un homme une femme ou l'inverse.

Il s'agit donc de réfléchir à la manière dont ce sexe est intégré aux données administratives. Doit-il être mentionné sur la carte ? C'est important pour la plupart des gens qui considèrent leur identité de genre harmonieusement intégrée au reste de leur personnalité. Il s'agira en tout cas pour le législateur de se positionner sur la contrainte inhumaine de chirurgie (vivement critiquée par les associations de défense des Droits de l'Homme) pour accéder à l'expression sociale du genre. Sur ce point, nous rejoignons activement Genres Pluriels.

A-t-on des chiffres sur la population transgenre ?

Il est très difficile d'évaluer ces statistiques, dont on sait qu'elles fluctuent parallèlement à la tolérance sociale. La littérature scientifique évoquait 1 personne trans pour 10.000 environ. La Gender Team de Gand avançait des chiffres d'un homme pour 10.000 et d'une femme pour 30.000. Il s'agit en fait de personnes ayant parcouru tout le processus de transformation, chirurgie comprise, donc des gens présentant le plus de souffrance liée à l'incongruence genre/sexe. Ces chiffres n'évaluent pas les personnes qui s'adressent à des praticiens privés (endocrinologues par exemple) ou ceux qui vivent très bien sans la médecine. C'est là qu'intervient la distinction transgenre et transsexuel, terme refusé par Genres Pluriels. Pour nous, les personnes transsexuelles représentent une catégorie de gens souhaitent ardemment être de l'autre sexe et sont prêtes à tout mettre en oeuvre pour y parvenir. Il s'agit, comme le terme l'indique, d'un passage d'un sexe vers l'autre : transformations hormonales, chirurgicales, administratives, traits du visage, de la voix,...

Donc ils ne se considèrent pas comme trans ?

Généralement pas. Ils veulent être de l'autre sexe et pas des personnes Trans. Ils considèrent le terme Trans comme le moment de transition qui n'a plus de sens une fois cette transformation accomplie. Ils n'acceptent pas l'idée que cette intervention ne soit en fait qu'un subterfuge médical. Ils peuvent être assez susceptibles sur la question de l'impossibilité (fonctionnelle en tout cas) du changement de sexe. Donc, pour moi, il y a réellement une différence entre ces termes qui recouvrent des réalités différentes. Genres Pluriels ne veut pas qu'on utilise le terme de " transsexuel ", incorrect selon eux. Ils se méprennent cependant sur une catégorie de personnes qui veut absolument changer de sexe et qui refusent la notion de fluidité de genres.

Considérez-vous la transidentité comme une pathologie ?

Non, pas du tout. De tout temps et de tout lieux, il y a eu des personnes qui ne se sentaient pas appartenir à leur corps sexué. Les différentes sociétés organisent la possibilité ou non de l'exprimer. On ne peut pas pathologiser une caractéristique qui existe partout et depuis toujours. La transidentité révèle la plasticité des genres, sa différence avec le sexe et sa répartition sur un continuum. Il y a une dynamique entre un équilibre socioculturel et un positionnement de l'individu. Il s'agirait plutôt d'une pathologie du système à vouloir classer à tout prix les gens qu'une pathologie de l'individu si on veut vraiment utiliser ce mot-là. En tout cas, il y a un moment donné, où l'individu ne se reconnait plus dans ce que la société attend de l'expression de son genre.

Y-a-t-il un problème d'identité chez les trans, un mal être ?

Pour beaucoup, ceux qui nous viennent en tout cas nous voir, on peut parler de mal-être. Ces personnes parcourent tout le pays afin de venir chercher un accompagnement. Ils se plient à nombre d'examens médicaux, de prises de sang, de protocoles, d'interventions chirurgicales et se retrouvent mutilés dans le but de faire correspondre leur corps à leur sentiment intérieur. Il est difficile d'imaginer qu'il n'y ait pas de mal être associé à un tel déploiement. Nous avons parfois des appels de service d'urgences nous disant : " Il y a un homme qui vient d'arriver, il a essayé de s'émasculer avec une lame de rasoir, qu'est-ce qu'on fait ? Il ne veut plus être un homme, c'est horrible pour lui. " Il s'agit de de véritables drames humains. Il faut comprendre que certains ne peuvent pas exister s'il n'y a pas ce changement. Nous sommes ici véritablement dans le processus de transsexualisation avec interventions chirurgicales. Ce mal être peut être plus diffus chez d'autres personnes qui ne seront pas aussi revendicatrices de transformations. Certains souhaitent simplement pouvoir porter des vêtements de l'autre genre ou des vêtements qui ne sont pas genrés sans présenter la moindre souffrance, ce qui témoigne d'une grande variété de situations et de gradations importantes dans le mal être.

Le DSM-V est-il rempli de préjugés ? Doit-il être révisé ? Est-il appliqué à la lettre ?

Il reste du travail. Il y a une bonne évolution par rapport au IV. Maintenant, on ne parle plus de troubles de l'identité sexuelle, mais du mal être lié à une incongruence sexe/genre. Le glissement se fait de vers la question de la souffrance potentielle. Je n'adhère cependant pas trop à cette nosographie prêt-à-porter de la maladie mentale. C'est assez aberrant de ranger la complexité des personnes dans cette classification, qui choisit d'ignorer la question l'intégration de l'individu dans une idéologie sociétale. Il faut bien se dire que le DSM suit une logique économique pharmacologique et ne tient pas beaucoup compte des mécanismes intrapsychiques.

L'équipe de Liège a-t-elle vraiment une mainmise sur la psychiatrisation?

Pas du tout. Je ne vois en aucun cas l'intérêt de psychiatriser. C'est ridicule. Tout au contraire, ce que nous visons, c'est un accompagnement de qualité. Il m'est de toute façon difficile de savoir ce que signifie " avoir la mainmise sur la psychiatrisation ". S'agit-il de dicter à la psychiatrie ce qu'elle doit mettre en place ? Ou de s'approprier toute la compétence de l'accompagnement Trans ? Ou encore de s'assurer, par le biais de la psychiatrie, l'assurance de contrôle de cette population ? Non, non et non. Nous proposons un accompagnement réfléchi avec la possibilité d'y mettre en place un espace de réflexion. Nous avons structuré la prise en charge en paliers successifs afin d'aider les personnes à se situer dans leur demande et à agir en tout conscience. Ils nous arrivent fréquemment de proposer d'autres types de suivis à l'extérieur de l'équipe aux personnes qui ne souhaiteraient pas notre accompagnement.

En tout cas, ce qui est sûr et certain, c'est que notre équipe ne considère pas les personnes trans comme des cas psychiatriques.

Quel est, finalement, l'intérêt d'une psychiatrisation ? S'agit-il de les soigner ? Soigner par la psychiatrisation, n'est-ce pas rendre conforme à un modèle normatif social ? Ici, nous ne sommes pas du tout dans la psychiatrisation puisque déjà, nous ne considérons pas qu'ils soient malades, nous n'essayons pas de les soigner pour les rendre conformes à quoi que ce soit. C'est juste l'inverse.

Y-a-t-il un lien suffisant entre les équipes de genre et les généralistes et les spécialistes ?

Non, ça je pense que ça reste compliqué. Les généralistes sont rarement formés à cette question-là.

Il faut être formé pour vous ?

Pas spécialement par nous. On apprend déjà beaucoup en écoutant les personnes. Le problème, c'est que cette demande est pour beaucoup, incompréhensible et teintée de préjugés. Lire quelques livres, écouter des témoignages, mais avant tout, rester humain, ouvert. Être attentif à la complexité de la demande de l'autre qui va parfois chercher à obtenir à tout prix ce qu'il pense être la solution, en réponse à une souffrance. Il faut donc veiller au degré d'urgence évoqué par la personne (et au risque létal) et l'aider à questionner la solution qu'elle pense avoir trouvée. Quand on veut absolument quelque chose et que notre survie en dépend, on est prêt à tout pour l'obtenir et ce n'est parfois pas une bonne chose. Il faut bien se dire que le suicide et le désespoir sont une réalité tangible chez nombre de personnes concernées par la question de la transidentité.

Y-a-t-il un problème de communication avec les patients ? Sont-ils suffisamment informés ?

Effectivement, beaucoup de personnes ne sont pas assez informées et il existe un danger. Le danger inhérent à la surinformation serait de banaliser un processus qui va conditionner toute la vie des gens. Or on sait que la vie psychique est souple et se module au fur et à mesure des circonstances.

Assimiler trop vite un questionnement identitaire à de la transidentité est dangereux, car on risque de pousser des personnes dans des voies qui ne leur conviennent pas spécialement en affirmant : " C'est un problème transidentitaire, il faut aller faire ceci ou cela ". On sait par exemple très bien que l'adolescence questionne lourdement l'identité. Il s'agit d'un moment de grande plasticité et d'élaboration de l'identité sexuelle. J'ai pu voir de nombreux ados qui arrivent habillés en fille avec une crédibilité incroyable, qui se font appeler par un prénom féminin, bref, qui semblent très sûrs de leurs motivations. Et deux ans après, cette question a complètement disparu. Ça arrive assez fréquemment. On sait aussi que parmi les enfants qui présentent un trouble de l'identité de genre, seul 1 ou 2 % maintiendront cette question à l'âge adulte, les autres s'épanouissent autrement. Qu'en sera-t-il si le corps médical cautionne et confirme des " diagnostics " qui vont suivre un individu toute sa vie ? Je suis plutôt partisan d'une non intervention précoce et de laisser les gens se développer à leur rythme vers ce qu'ils souhaitent. Le point central, c'est que ces interventions (chirurgies et hormonothérapies) ne sont pas réversibles alors que la transidentité est souple et susceptible de l'être, ou en tout cas d'évoluer, le psychisme étant fluide, plastique et adaptatif aux contraintes internes et externes.

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Écrit par Laurent Zanella

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