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Le krach des divas

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Mais que se passe-t-il donc en bourse? Les marchés ont fort baissé, soit. Mais la chute est conduite, non seulement par des starlettes spéculatives, mais aussi par les superstars des dernières années: d'Amazon à Zalando, en passant par Netflix, et même LVMH en France ou encore Sofina et Colruyt en Belgique. Y a-t-il de vraies explications et d'utiles leçons à en tirer?

Le vendredi 20 mai dernier, le baromètre de la bourse américaine pointa sur "marché baissier". L'indice S&P 500 s'inscrivait en effet en repli de plus de 20% sur son dernier sommet, soit les quelque 4.800 points de décembre dernier. En bourse, un repli de 20% est la définition "officielle" d'un marché baissier. Ce n'est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière... La faute aux valeurs technologiques? Oui, dans une large mesure. L'indice Nasdaq qui les reprend était d'ailleurs, au même moment, en baisse de 30% sur son sommet. Et il l'est resté, alors que le S&P 500 s'est ensuite stabilisé aux environs de -18%.

Premier constat cependant: même les ténors technologiques, ces actions qui grimpent (presque) sans arrêt depuis de nombreuses années, boivent la tasse. Apple est en repli de plus de 20% depuis le début de l'année et Amazon, de 35%. Second constat: la débâcle touche aussi des valeurs jugées à la fois de croissance et défensives, tel que le luxe. A Paris, LVMH a perdu plus de 20% depuis le 1er janvier et son confrère Hermès plus de 30%. Ce dernier est brièvement passé sous la barre des 1.000 euros au début mai, contre un sommet à 1.678 euros en automne dernier, une chute de plus de 40% en moins de six mois: un véritable krach! Les raisons de ces déroutes sont aussi diverses que nombreuses.

Netflix: -35% d'un coup!

On a déjà évoqué ici les retours de manivelle ayant frappé les entreprises qui avaient pleinement profité de la pandémie et dont le cours de bourse avait explosé grâce à elle. C'est clairement le cas de Zoom, le roi de la visioconférence, dont le cours fut multiplié par 5 entre mars et octobre 2020, à plus de 550 dollars. L'action affiche aujourd'hui moins de 100 dollars. Retour à la case pré-Covid... Le cas de Netflix est en plus dramatique. L'empereur du streaming, ou vidéo à la demande, avait décollé bien avant la pandémie, à partir de 2016. Venant de moins de 100 dollars, son action frisa les 400 dollars dès l'été 2018. L'entreprise s'apparentait à un véritable phénomène de société. Le confinement de 2020 et 2021 en remit une couche, avec toujours plusieurs millions d'abonnés supplémentaires chaque mois et un cours touchant un sommet de 701 dollars en automne dernier. Un véritable conte de fée...

Un doute s'installa toutefois, dramatiquement confirmé (et même au-delà) le 19 avril, quand l'entreprise annonça avoir perdu 200.000 souscripteurs au premier trimestre, une première en plus de dix ans, et s'attendre à en perdre deux millions au deuxième. Résultat: une chute de 35% pour l'action! Et de quelque 70% depuis le début de l'année. Il en va de même pour Snap, entreprise aussi peu connue en elle-même que son application Snapchat est célèbre. Déjà en perte de vitesse ces derniers mois, l'action a chuté de 43% le 24 mai, suite à l'annonce de perspectives soudainement beaucoup plus sombres. Encore un krach! De tels cas sont en réalité légion: Alphabet (Google) était la semaine dernière en recul de 27% depuis le début 2022 et Meta (Facebook) de 45%! De son côté, le distributeur allemand Zalando a perdu plus de 60% depuis son sommet de l'été 2021.

Une déception se paye cash

Pourquoi une telle déroute? La hausse des taux d'intérêt d'abord. Elle rend arithmétiquement moins attrayantes les valeurs de croissance que sont, en particulier, la plupart des entreprises technologiques. Une valeur de croissance est en effet une action dont on paie surtout les bénéfices futurs. Or, un tel investissement à moyen et long termes doit être "actualisé", comme disent les financiers. Il s'agit de le convertir en euros ou en dollars d'aujourd'hui, sur base du taux d'intérêt à long terme. Tel est en effet le rendement (en obligations) dont on se prive en achetant ces titres. Et on comprend que cette privation est plus lourde quand ce taux passe de 1,5 à près de 3%, comme c'est le cas aux États-Unis cette année. Les valeurs de croissance valent donc moins pour un investisseur.

De nombreux commentateurs et économistes avaient rappelé ce principe au cours des derniers mois. Le rebond des taux d'intérêt n'est cependant pas la seule cause de la débâcle technologique: ainsi qu'on l'a vu, la plupart des chutes de cours brutales ont suivi des annonces de résultats et/ou de prévisions franchement décevantes. C'est une autre piqûre de rappel à propos des valeurs de croissance: comme elles se paient cher en raison d'un futur attendu flamboyant, la moindre ombre au tableau peut engendrer une grosse déception dans le chef des investisseurs. Et quand l'ombre en question s'apparente à un séisme, comme chez Snap ou Netflix...

Sofina en chute de moitié

On ne saurait passer sous silence la pénurie de composants électroniques qui frappe des pans entiers de l'industrie, en particulier technologique. Même Apple est aujourd'hui touché. Il est toutefois un autre ver qui s'est récemment introduit dans le fruit: l'inflation, qui commence à rendre le consommateur plus timide, aux États-Unis comme chez nous. Quand on corrige la hausse des ventes par l'inflation, on s'aperçoit qu'elles sont parfois en léger recul. Ceci attise la concurrence et pèse sur les marges. Pas étonnant que l'indice américain reprenant les actions du secteur de la distribution soit en chute de 32% depuis le début de l'année!

Chez nous, c'est Colruyt qui a tristement fait l'actualité en affichant une chute de 30% en un mois et demi. L'action se situe à moins de la moitié de ses sommets de l'été 2019. Le distributeur avait annoncé dès décembre dernier une "baisse significative" de son bénéfice à cause de la hausse des coûts. Après avoir longtemps arboré l'étiquette d'entreprise de croissance, Colruyt est à présent "dans l'oeil du cyclone", jugeait le mois dernier un média professionnel.

Secteur à la fois défensif et de croissance, le luxe a beaucoup souffert de la situation en Chine: confinement mais aussi durcissement du régime à l'égard des nantis. Le holding belge Sofina n'y est pas resté insensible non plus, mais il a surtout pâti de la hausse des taux, dans la mesure où celle-ci est réputée très négative pour les marchés émergents. Or, Sofina y a beaucoup investi dans l'éducation, la santé, le commerce en ligne... Autant de participations passées du statut de pépites à celui d'entreprises trop chères. L'action est aujourd'hui en chute de moitié par rapport à son sommet de décembre dernier! Il faut savoir que le cours affichait alors une prime de l'ordre de 30% par rapport à une valeur intrinsèque estimée de 330 euros. L'action était donc devenue très chère.

Acheter et garder... ou vendre?

C'est dans les années 1988 et 1989 que Warren Buffett, considéré comme le meilleur investisseur en bourse du monde (il est parti de rien et pèse aujourd'hui 100 milliards de dollars) a accumulé des actions Coca Cola, une position conservée à ce jour. Non parce que c'est sa boisson préférée, mais parce que sa philosophie est buy and hold: quand on achète des actions de qualité, c'est pour les garder longtemps. On considère qu'il a multiplié son investissement par 19 environ. C'est fort joli... mais il l'avait déjà multiplié par dix après dix ans. Ce sommet de l'été 1998 fut suivi d'une forte chute et retrouvé seulement en 2013. Et au cours des neuf dernières années, l'action Coca Cola n'a grimpé que de 50% environ, contre 140% pour l'indice S&P 500. Alors, le buy and hold est-il vraiment la meilleure stratégie?

La question est controversée depuis toujours et elle le restera. Un argument généralement avancé pour déconseiller la revente d'une action après une belle hausse est que cette dernière va peut-être se poursuivre encore. Dès lors, pourquoi s'en priver si l'on n'a pas mieux en vue? Cette affirmation comporte toutefois un malentendu. Il n'y a effectivement pas de raison de vendre une action simplement parce qu'elle a monté: si les bénéfices de l'entreprise grimpent autant que le cours, cette action n'est pas devenue plus chère. C'est là le mot important: il est par contre indiqué de vendre, au moins en partie, quand une action devient vraiment chère. C'est-à-dire quand les investisseurs acceptent de payer 60 ou 80 fois les bénéfices comme dans le cas d'Amazon (la moyenne du marché américain est inférieure à 20) ou une grosse prime subite, comme pour Sofina. À défaut de recette miracle ou de flair exceptionnel, telle est l'attitude prudente dont l'évolution boursière des dernières semaines rappelle la pertinence.

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