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« L’utérus artificiel ouvre la porte à un monde dystopique »
Les promesses d’utérus artificiels refont surface en Chine. Pékin veut démontrer sa suprématie technologique et médiatise des projets de « robots de grossesse ». Mais pour le Dr Laurent Alexandre, il s’agit surtout d’un effet d’annonce : la science ne permet pas encore de mener une grossesse humaine complète hors du corps de la femme. Toutefois, si la perspective reste crédible à long terme, en comblant le gap entre fécondation et couveuse, elle soulève déjà des enjeux éthiques, économiques et sociétaux majeurs.

Le journal du Médecin : Un média sud-coréen, Chosun Biz, réputé fiable, affirme qu’un médecin chinois, le Dr Zhang Qifeng, fondateur de la société Kaiwa Technology à Guangzhou, travaillerait sur des « robots de grossesse » dotés d’un utérus artificiel. Selon vous, l’idée de robots de grossesse qui seraient développés en Chine, équipés d’utérus artificiels relève-t-elle aujourd’hui du fantasme médiatique ou d’une avancée réellement envisageable à court ou moyen terme ?
Dr Laurent Alexandre : C'est un effet d'annonce. La technologie permettant de mener à bien une grossesse humaine complète dans un utérus artificiel, appelée "ectogénèse", n'est pas au point. Actuellement, on sait faire grossir un mammifère en début de grossesse (cela a été fait chez le mouton) et on sait finir la grossesse (utilisé quotidiennement pour les prématurés avec des couveuses). Cependant, il y a un trou sur la partie moyenne de la grossesse ; on ne fait pas la jonction entre l'utérus artificiel des premières semaines et les couveuses. On pourrait l'obtenir dans les décennies à venir, mais le calendrier est impossible à déterminer aujourd'hui et il existe de énormes écarts de prévisions parmi les experts quant à la date de fonctionnement d'un utérus artificiel intégral.
« L'utérus artificiel qui couvre la grossesse du début à la fin n'est pas une technologie que nous possédons aujourd'hui. »
Donc, vous pensez qu'on comblera un jour ou l’autre le fossé entre les deux étapes actuelles ?
Oui, on peut sans doute le combler, mais l'utérus artificiel qui couvre la grossesse du début à la fin n'est pas une technologie que nous possédons aujourd'hui. Si nous l'avions, nous l'utiliserions déjà, notamment pour les femmes sans utérus par exemple.
Est-ce qu'on pourrait également imaginer l'utiliser pour remplacer la GPA ?
Oui, on pourrait imaginer que des femmes, même parfaitement aptes à porter un enfant, choisissent cette option. Je connais des femmes qui ont eu recours à une GPA pour éviter les varices, les vergetures et les inconvénients de la grossesse.
Il y a aussi les homosexuels masculins qui pourraient être intéressés ?
Oui, c'est une partie du marché qui est très solvable. Une GPA coûte cher, donc il y aura un marché pour la remplacer pour des raisons financières mais aussi pour des raisons éthiques, car la GPA est considérée comme "pas totalement éthique", alors qu'a priori l'utérus artificiel serait peut-être mieux accepté par la société.
Un monde sans femme
On pourrait imaginer un monde "HG wellsien" sans femme, puisqu’avec la banque de sperme on disait qu'on n'avait plus besoin d'hommes ; là, on n'aurait plus besoin de femmes ?
On peut imaginer toutes les dystopies. On peut aussi envisager que les États dont la population s'effondre, comme la Corée du Sud, fabriquent des bébés indépendamment des parents, dans un scénario, cette fois, huxleyen. Ce ne serait pas forcément pour les "mettre à l'abri" des parents, mais pour compenser le fait que les parents ne veulent plus d'enfants. La population en Corée du Sud est divisée par trois à chaque génération (avec 0,7 enfant par femme), et les prévisions actuelles montrent un effondrement de la population coréenne qui tomberait autour de cinq millions en 2100 soit moins que la Suisse.
La natalité en Europe est aussi au plus bas…
En Europe, la natalité n'est pas à ce point basse, mais surtout elle est compensée par une très forte immigration. Sans immigration, la population européenne s'effondrerait déjà, ce qui n'est pas le cas en Asie.
Est-ce que les Chinois font ces effets d'annonce dans le cadre d'une course technologique globale ?
Oui, les Chinois veulent montrer depuis deux ans qu'ils sont en train de devenir la première puissance technologique au monde et qu'ils vont dépasser les États-Unis. Cela fait partie de l'agenda 2049 réaffirmé par Xi Jinping, dont la thèse centrale est que grâce à l'intelligence artificielle, la Chine deviendra la première puissance technologique, militaire, industrielle et scientifique du monde.