Matinée d'étude de l'Observatoire universitaire en médecine rurale
Pénurie : Transformer les stages hospitaliers en stages en milieu rural ?
L’Observatoire universitaire en médecine rurale (UNamur) organisait une matinée d’information hier, jeudi 4 décembre sur la possibilité de supprimer le stage hospitalier en médecine générale par un stage facultatif en milieu de pénurie. A défaut de réellement répondre à la question, la matinée s’est clôturée sur un débat politique des plus intéressant mais en l’absence de représentants du MR et du PS.
La table ronde s’est clôturée sur un constat largement partagé : la pénurie de médecins généralistes, particulièrement en zones rurales, est à la fois plus grave et plus complexe que beaucoup ne l’imaginaient, et la question des stages est devenue un levier stratégique pour y répondre.
« Je n’avais pas mesuré l’ampleur des pénuries » (Jean-François Gatelier)
Le député fédéral et médecin généraliste Jean-François Gatelier a ouvert le bal en soulignant qu’il savait qu’il existait une pénurie, mais qu’il n’avait pas mesuré à quel point la situation était devenue critique, tant sur le plan quantitatif (nombre de médecins) que qualitatif (conditions de travail, continuité des soins, attractivité des carrières). Il se dit convaincu par le modèle présenté par le Dr Dominique Henrion, Chargé d'enseignement et Responsable du Master de spécialisation en Médecine générale, à savoir l’expérience de Namur, qui consiste à amener concrètement des assistants en zones rurales via diverses mesures d'attraction : le meilleur facteur de rétention, rappelle-t-il, est qu’un jeune médecin vienne sur place, y reste un certain temps et s’y projette. Les études montrent que la probabilité d’installation augmente fortement après un stage prolongé dans ces zones.
Hôpitaux ruraux moins flexibles qu’avant
L’échevin de Rouvrois Michel Marion, ancien directeur médical des Cliniques du Sud-Luxembourg, apporte un témoignage de terrain sur la rupture progressive entre l’hôpital et le domicile. Là où, autrefois, les petits hôpitaux ruraux entretenaient des liens fluides et informels entre généralistes et spécialistes, la concentration hospitalière a rendu les structures plus lourdes, plus anonymes, plus difficiles d’accès pour les médecins de première ligne. Il insiste sur l’opacité croissante de la « transmuralité » : il devient difficile pour un généraliste ou un assistant de savoir à qui parler dans l’hôpital, comment organiser la continuité des soins après une hospitalisation, notamment pour les patients palliatifs ou fragiles. Il pointe un problème majeur : on assure encore une permanence des soins, mais plus une vraie continuité des soins, surtout le soir et le week-end, quand le patient « rentre dans la nature ».
À partir de là, plusieurs intervenants dont l’ancienne présidente de la Commission santé de la Chambre, Muriel Gerkens (Ecolo) plaident pour des stages qui ne soient plus pensés seulement en termes de « hospitalier ou pas », mais en termes de trajectoire du patient : passage hôpital–domicile, soins palliatifs, soins à domicile organisés de façon multidisciplinaire. L’ancienne parlementaire Écolo insiste: la médecine générale, c’est la proximité, "l’holistisme" et les déterminants sociaux de la santé, pas la simple extension du plateau technique hospitalier à domicile.
Stages hybrides
Elle propose de réfléchir à des stages « hybrides » : par exemple, considérer comme stage hospitalier des activités réalisées à domicile dans le cadre de soins prolongés après une hospitalisation, ou développer des lieux de stage en planning familial, en médecine scolaire, dans des structures de première ligne, dès lors qu’un encadrement pédagogique solide est prévu - ce qui a suscité une certaine incrédulité dans la salle. Pour elle, la logique de stage doit coller à la responsabilité sociétale du futur médecin, pas seulement à la logique interne de l’hôpital.
Le représentant du ministre régional de la Santé Yves Coppieters pour la 1ère ligne, Gaël Duprat, rappelle ensuite la « lasagne institutionnelle » : au niveau wallon, la Région dispose de leviers organisationnels (dispositifs de soutien à l’installation, zonage de pénurie, reconfiguration de la première ligne), mais pas de la compétence sur les obligations de stage, qui restent fédérales. Il reconnaît la gravité de la situation, le caractère récurrent des interpellations au Parlement wallon, et insiste sur la nécessité de construire des réponses complexes et concertées : adapter la formation, organiser les stages, mais aussi répondre aux besoins de santé des territoires via les nouveaux consortiums territoriaux de première ligne.

Convaincre le ministre Vandenbroucke
Le président honoraire du GBO Paul De Munck, se dit d’emblée favorable à entrer dans un processus de suppression de l’obligation de stage hospitalier telle qu’elle existe aujourd’hui, tout en restant prudent sur la manière de transformer ce temps en stage rural : cela demande une discussion interne. Il insiste sur deux points : d’une part, la nécessité de construire un front le plus large possible – syndicats, Collège de médecine générale, leaders d’opinion flamands – pour convaincre le ministre fédéral ; d’autre part, l’importance de produire un dossier solide, scientifiquement étayé, avec des données probantes sur l’impact des stages sur l’installation en zones de pénurie.
Ce même intervenant rappelle qu’il existe déjà des rapports de stage hospitalier exigés des assistants, mais que ces données ne sont pas exploitées scientifiquement. Il évoque aussi une idée ancienne : organiser des « stages croisés » où tout futur spécialiste passerait au moins une semaine en cabinet de médecine générale, et tout futur généraliste au plus près du travail d’un spécialiste, afin de briser les représentations mutuelles et d’améliorer la collaboration.
Grande faiblesse de la MG dans les Facultés
À ce stade, la question universitaire émerge frontalement. Plusieurs intervenants pointent la grande faiblesse institutionnelle de la médecine générale dans les facultés : peu de moyens, très peu d’équivalents temps plein académiques pour un pourcentage pourtant très élevé d’étudiants se destinant à la médecine générale. Les départements sont minoritaires dans les conseils de faculté, face à une multitude de chaires de spécialités, chacune défendant ses quotas et ses besoins en assistants.
Ils appellent à une « prise de parole académique » plus forte et plus collective : les centres universitaires de médecine générale (CUMG) doivent se fédérer, désigner des porte-parole, répondre de façon structurée au ministre quand celui-ci réclame des chiffres et des analyses, et articuler leur travail avec le Collège de médecine générale, sans créer de fracture entre profession et université.
Jean-François Gatelier propose de déposer une ou plusieurs questions parlementaires pour obliger le ministre fédéral à se positionner sur l’obligation de stage hospitalier, d’envisager le dépôt de propositions de loi permettant soit la suppression, soit la transformation de cette obligation, et de profiter du fait que son groupe siège dans la majorité en commission Santé pour faire remonter le sujet en priorité. D’autres rappellent la possibilité de modifier un arrêté ministériel ou d’inscrire dans la loi la possibilité de définir par arrêté de nouveaux types de stages, notamment en zones de pénurie, sans entrer dans un affrontement frontal avec les hôpitaux.
« Certains plaident pour privilégier le critère de pénurie plutôt que la notion purement « rurale », trop floue. »
La ruralité revient alors au centre : certains plaident pour privilégier le critère de pénurie plutôt que la notion purement « rurale », trop floue. D’autres expliquent que six mois de stage sont largement insuffisants pour que la patientèle s’approprie un assistant et que celui-ci s’ancre dans un territoire : un an, voire davantage, serait beaucoup plus pertinent si l’objectif est l’installation. Ils soulignent aussi que les hôpitaux ruraux ont du mal à recruter des spécialistes et à proposer un encadrement de stage de qualité, ce qui risque de renforcer la tendance des assistants à rester « au chaud » dans les grandes villes.
Le débat se fait plus critique sur un point sensible : l’usage des assistants comme main-d’œuvre bon marché (autre antienne). Plusieurs intervenants insistent avec force sur la responsabilité sociale des maîtres de stage : un candidat en formation, qu’il soit futur généraliste ou spécialiste, ne peut pas servir avant tout à faire tourner un service ou un cabinet en pénurie de personnel. Sa présence doit d’abord être pensée en termes pédagogiques. Or, sur le terrain, on entend encore des maîtres de stage dire « si vous m’enlevez les assistants, comment je fais tourner mon service ? ». Tant que cette mentalité persistera, le stage hospitalier restera prisonnier d’un enjeu de ressources humaines plutôt que de formation.
En filigrane, tous reconnaissent que la bataille se gagnera par le consensus et non par l’opposition frontale : consensus entre généralistes et spécialistes, entre universités, entre francophones et flamands, entre majorité et opposition. La modification de l’obligation de stage hospitalier est perçue comme un premier « pied dans la porte » pour aborder plus largement la pénurie, la planification du nombre de médecins (via les commissions de planification fédérale et régionale) et la reconfiguration des soins de première ligne.
Une déclaration commune à peaufiner
Pour conclure, Dominique Henrion rappelle que le texte de « déclaration commune » appelant à supprimer des stages hospitaliers pour les réaliser en milieu rural, préparé pour la table ronde devra encore être retravaillé, amendé, soumis aux syndicats, au Collège de médecine générale et aux universités avant d’être vraiment présenté comme une position partagée. En l'état, Paul De Munck précise qu'il ne pourrait pas le signer sans revenir vers les instances du GBO.