Thérapie cellulaire par CAR-T cells : la nouvelle ère de l’hémato-oncologie
CONGRÈS Ce 9 octobre 2025, l’UCL (Louvain Médical) organisait un webinaire ayant pour thématique une prise en charge tout à fait novatrice dans le traitement des pathologies lymphoïdes, validée et utilisée en pratique clinique depuis 2019.
Le Pr Guillaume Dachy, hématologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc, nous partage son expertise dans ce domaine très pointu, et surtout prometteur.
Le traitement par CAR-T cells, initialement implémenté dans le traitement de la leucémie lymphoïde aiguë de type B, fait depuis 2021 l’objet d’une utilisation plus large dans le domaine de l’hémato-oncologie, notamment dans les lymphomes diffus à grandes cellules et, plus récemment, dans le traitement du myélome multiple. Le passage d’une troisième ligne thérapeutique à celle d’une deuxième ligne représente une avancée majeure avec, à la clé, des taux de survie à quatre ans nettement améliorés. Dans le cas des lymphomes diffus à grandes cellules, les études ont permis d’observer chez 40% des patients une rémission complète à deux ans post-thérapie. Actuellement, une centaine de patients sont traités par CAR-T cells par an en Belgique.
Récepteur antigénique chimérique
Avant toute chose, il convient de comprendre les détails moléculaires de cette immunothérapie génique autologue. CAR signifie « chimeric antigen receptor », ce qui implique la création, par génie génétique, d’un récepteur antigénique chimérique au sein des lymphocytes T. Le principe général repose sur la création d’une protéine « fusionnée » (chimérique) associant la spécificité d’un anticorps, permettant sur le versant extracellulaire de reconnaître une cible spécifique (à savoir ici l’antigène tumoral), et la capacité de transduire le signal au travers d’un récepteur T (TCR) dans dans son plus simple appareil, induisant ainsi la transduction du signal à la base de la fonction « tueuse » de ces lymphocytes T.
« Le passage d’une troisième ligne thérapeutique à celle d’une deuxième ligne représente une avancée majeure dans le traitement des pathologies lymphoïdes. »
Traitement en « one-shot »
Auparavant, après immuno-chimiothérapie de type R-CHOP (à laquelle 25 à 30% des patients ne répondaient pas), on analysait l’éligibilité du patient à une autogreffe de cellules souches. Les patients qui rechutaient après cette dernière étaient rapidement pris en charge dans un projet palliatif (avec une survie médiane aux alentours de six mois).
Aujourd’hui, les patients qui rechutent précocement après complétion d’un traitement par R-CHOP peuvent régulièrement bénéficier du traitement par CAR-T cells, qu’ils soient ou non éligibles à la procédure d’autogreffe. On atteint avec ce type de traitement un gain curatif et une différence statistiquement significative en termes de survie. Ce type de succès s’observe aussi dans les lymphomes à cellules du manteau, ainsi que les lymphomes indolents. Soulignons également qu’il s’agit d’un traitement en « one-shot », avantage significatif par rapport aux thérapies plus conventionnelles.
D’un point de vue pratique, il s’agit d’une thérapie autologue, utilisant les globules blancs du patient qui sont collectés par leucaphérèse et ensuite modifiés génétiquement (modification ex vivo, procédé qui dure entre trois et quatre semaines). Avant réinfusion au patient, un traitement visant à contrôler le cancer à court terme est souvent proposé (on parle de thérapie « bridge ») . Ceci permet de réduire la masse tumorale. La réinfusion des cellules est précédées de trois jours de chimiothérapie avec peu d’effets secondaires, visant à créer l’environnement immunitaire le plus favorable à l’expansion des nouveaux globules blancs (conditionnement lympho-déplétif).
Effets secondaires
Ensuite s’impose une hospitalisation de deux semaines pour surveillance des potentiels effets secondaires que nous allons détailler. Tout d’abord, il convient d’aborder la possibilité d’un relargage cytokinique massif et souvent rapide (CRS), reflétant le combat entre le système immunitaire, le lymphome et l’inflammation qui en découle. Ce CRS se traduit cliniquement par une fièvre importante chez trois quarts des patients. Ce processus inflammatoire peut transiter vers le système nerveux central, se présentant cliniquement sous forme d’une neurotoxicité particulière (« ICANS »), souvent associée à un état confusionnel aigu. Cette neurotoxicité est transitoire et réversible dans l’immense majorité des cas (95% des patients recouvrent leurs pleines capacités cognitives). Retenons que le CRS et la neurotoxicité représentent les deux types d’effets secondaires les plus fréquents.
Les CAR T-cells, associés au conditionnement LD, induisent une lymphopénie iatrogène parfois profonde. La qualité de la reconstitution immunitaire est, dans ce contexte, très importante : les patients qui n’ont pas de reconstitution immunitaire à 12 mois post-traitement, ont un risque plus élevé de rechute. La thérapie par CAR-T cells expose également le patient à un risque de mortalité directement imputable au traitement, mais celui-ci se veut relativement faible. La mortalité précoce (au cours du premier mois) est rare, l’essentiel de cette dernière étant objectivée à plus long terme. Dans 50% des cas, il s’agit d’une mortalité liée à des complications infectieuses (virales, bactériennes, moins fréquemment fongiques).
Sélectionner les patients en temps utile
Il est important de souligner l’élargissement drastique, ces dernières années, de l’éligibilité des patients au traitement par CAR-T cells. Certaines comorbidités restant des contre-indications absolues (ECOG > 2, maladie neuro-dégénérative sous-jacente, fonctions organiques incompatibles), les critères de sélection ont largement évolué, notamment en ce qui concerne l’âge du patient. Les taux de survie au-delà de 65 ans sans récidive de la maladie restant de l’ordre de 45%, l’âge chronologique du patient ne peut donc plus constituer un critère ferme d’exclusion. De même, une fonction respiratoire légèrement altérée ne représente pas une contre-indication, tout comme les comorbidités cardiaques ou hépatiques.
La capacité d’identification précoce des patients, avec le moins de lignes d’immuno-chimiothérapies préalables, constitue également un point très important (ces traitements abimant la fonction lymphocytaire). Cet élément conditionne la morbi-mortalité associée au traitement par CAR-T cells. De même, il convient d’amener le patient, vivant, avec la plus faible masse tumorale possible grâce au bridge (celle-ci étant associée à des résultats nettement meilleurs, surtout en cas d’envahissement extra-ganglionnaire). Une faible charge tumorale diminue également l’incidence de potentiels d’effets secondaires.
Les thérapies géniques et les chimiothérapies associées, malgré leur remarquable évolution, peuvent être à l’origine de l’avènement de cancers secondaires (de type LLA ou syndrome immuno-dysplasique). Leur survenue restant rare, il convient cependant d’y prêter attention, particulièrement chez les patients ayant subis plusieurs traitements génotoxiques par le passé. C’est typiquement le cas chez les sujets ayant déjà eu trois lignes de chimiothérapie, ou une autogreffe. D’où, à nouveau, l’importance d’une identification précoce.
L’élargissement de l’utilisation des CAR-T cells aux néoplasies solides reste à ce jour limité, d’une part car l’accès à l’antigène tumoral est nettement plus aisé dans les cancers hématologiques, d’autre part le paysage immunitaire étant plus facile à décrire. Une translation de son utilisation vers les tumeurs solides fait cependant l’objet de plusieurs études, dont certaines sont particulièrement prometteuses, comme dans les glioblastomes par exemple.