PsychiatriePremium

JM Academy / Pédopsychiatrie

Anorexie mentale et boulimie : une thérapie familiale spécifique

Publié en 2013, le DSM-5 a réaménagé la classification nosographique des troubles du comportement alimentaire. S'y côtoient les troubles alimentaires restrictifs, hyperphagiques, non autrement spécifiés (NOS) et une nouvelle catégorie baptisée « troubles de la restriction et de l'évitement de l'ingestion d'aliments » (ARFID - Avoidant/Restrictive Food Intake Disorder). Au sein de ces catégories, portons le regard sur l'anorexie mentale et la boulimie, les deux troubles les plus souvent évoqués. 

Philippe Lambert

Dix à 15% des jeunes âgés de 12 à 18 ans souffriraient de troubles du comportement alimentaire (TCA), avec une large prédominance féminine – neuf femmes pour un homme. Souvent, ces troubles débutent par la pratique d'un régime. C'est par exemple ce qui est arrivé à Chloé, 15 ans, qui voulait avoir la taille mannequin comme deux de ses copines de classe qui posaient de temps à autre pour des photos publicitaires.

Les différentes études aboutissent à la conclusion que les adolescentes qui suivent régulièrement un régime ont 12 fois plus de risque de devenir boulimiques que celles qui ne restreignent pas leur alimentation. C'est ainsi que Chloé s'est retrouvée à engloutir plusieurs fois par jour de grands pots de Nutella à la cuiller ou des sachets de chips, puis à aller se faire vomir à l'insu de son entourage. 

Des troubles spécifiques 

Anorexie boulimie
Photo de Elist Nguyen via Unsplash

La boulimie se manifeste par des épisodes hyperphagiques auxquels succèdent des comportements destinés à éviter la prise de poids. Durant la crise, l'adolescent consomme de manière compulsive, parfois sans préparation ni cuisson, les aliments qu'il cherche à éviter habituellement. Ensuite, après quelques heures de frénésie alimentaire, il se fait vomir, pratique le sport de façon excessive et, parfois, prend des laxatifs ou s'impose un jeûne draconien.

Ces stratégies permettent à l'adolescent de maintenir son poids à un niveau plus ou moins constant, de sorte que contrairement à ce qu'on observe dans l'anorexie, les accès boulimiques, accomplis en secret, peuvent passer inaperçus pendant des années et demeurer longtemps compatibles avec une vie normale sur les plans familial, social et professionnel. En général, l'épisode boulimique s'achève néanmoins dans la honte, la culpabilité, le dégoût de soi et un profond sentiment de solitude. 

Si Chloé présente de la boulimie, Marie, elle, est affectée par l'anorexie. « Elle mange comme un oiseau », disent ses parents. « Alors qu'elle est squelettique, elle continue à se trouver "monstrueusement" grosse. C'est presque comme si elle faisait la grève de la faim. » L'adolescent souffrant d'anorexie mentale craint de grossir ou refuse de maintenir son poids à un niveau minimal normal pour son âge et sa taille. Dans nos sociétés, la valorisation de la minceur véhiculée notamment par la mode n'est pas étrangère au phénomène. Mais aujourd'hui, d'après les spécialistes, un autre phénomène favorise également les comportements alimentaires restrictifs : la valorisation du végétalisme et du véganisme, auxquels adhèrent de plus en plus de jeunes, mais qui dérivent chez certains vers des TCA.  

La valorisation du végétalisme et du véganisme, auxquels adhèrent de plus en plus de jeunes, constitue un nouveau mécanisme qui favorise les comportements alimentaires restrictifs.  

Différents facteurs en jeu

Ces troubles débouchent régulièrement sur des tentatives de suicide, en particulier dans le cas de l'anorexie mentale à l'âge adulte. Quant à leur origine, elle est complexe et varie d'un individu à l'autre. Les études scientifiques pointent du doigt des facteurs génétiques et épigénétiques, mais aussi des facteurs psychologiques fréquemment associés à des traumatismes découlant de moqueries, de harcèlement, de violences verbales ou physiques, ainsi que des facteurs culturels, sociaux ou familiaux. À cela s'ajoutent entre autres, nous l'avons signalé, les risques d'accès hyperphagiques découlant de la pratique d'un régime.

Le Dr Yves Simon, président du CEPIA
Le Dr Yves Simon, président du Centre d'Expertise Poids, Image du corps et Alimentation (CEPIA).

« L'anorexie mentale, en particulier, est décrite aujourd'hui comme une affection à la fois neuropsychiatrique et métabolique. Cette dernière composante a été mise récemment en évidence, notamment à la suite du développement des connaissances génétiques relatives à des gènes codant pour des données anthropométriques telles que le poids, la composition corporelle et la distribution de la masse graisseuse », précise le psychiatre Yves Simon, président du Centre d'Expertise Poids, Image du corps et Alimentation (CEPIA).

Certains traits de personnalité se trouvent également au cœur du débat. Ainsi, comme le rappelle le thérapeute, « les patients présentant une anorexie mentale ont des problèmes avec les émotions, fortement associées avec le perfectionnisme, l'anxiété sociale et le surcontrôle des impulsions et, dans la boulimie, on montre une dysrégulation des émotions, une sensibilité au rejet et un sous-contrôle des impulsions et des émotions. » 

La 'Family Based Therapy' 

Mais comment venir en aide aux adolescents souffrant d'un TCA ? À l'heure actuelle, une thérapie familiale spécifique, la Family Based Therapy (FBT), est considérée comme la thérapie de référence. Cependant, elle demeure peu utilisée dans les pays francophones où d'autres thérapies - qui, contrairement à elle, n'ont pas fait l'objet d'évaluations sérieuses - sont encore dominantes, et tendent en outre à attribuer une responsabilité aux parents dans le trouble de leur enfant, alors qu'il y a lieu d'en faire des partenaires sur le plan thérapeutique, et non de les percevoir comme un « problème ». 

Il est essentiel d'informer les proches du jeune patient afin d'éradiquer de fausses idées sur sa maladie et de les conseiller sur la manière d'agir. Mal informés, ils peuvent développer un modèle de la maladie qui pourrait être à la base de la détresse du patient, ainsi que de leur propre détresse ou de leur incompréhension, et favoriser le maintien du problème. Aux yeux des thérapeutes appliquant la Family Based Therapy, il est essentiel de travailler avec la famille en vue d'améliorer la communication et les relations en son sein, ce qui peut se révéler déterminant dans la bonne réponse de l'adolescent à la prise en charge de son trouble alimentaire. Une des clés de voûte de la FBT est de convier parents et adolescent à des entretiens individuels et collectifs. « Il s'agit de veiller à ce que les parents apprennent à réfréner leur propension à réagir émotionnellement et à émettre des critiques à l'égard du jeune malade », commente Yves Simon. 

Dans l'anorexie mentale, l'une des missions des parents est de reprendre temporairement en charge le contrôle de l'alimentation et de l'activité physique de l'adolescent.

Dans l'anorexie mentale, l'une des missions des parents est de reprendre temporairement en charge le contrôle de l'alimentation et de l'activité physique de l'adolescent. « En pratique », dit le Dr Simon, « accompagnés par un ou une psychothérapeute formé à cette technique, ils choisissent, préparent et servent les repas. Si leur enfant ne mange pas ou mange trop peu, ils peuvent l'encourager à terminer son assiette, mais aussi la retirer au bout d'une demi-heure sans porter de jugement de valeur. Ils proposeront alors une activité commune agréable. L'absence de critiques et la diminution de la tension au sein de la famille sont propices à une prise de conscience, par le jeune, des conséquences de la maladie. Il consentira souvent à s'alimenter lors de repas ultérieurs. »

Dans le cas de la boulimie, les choses sont évidemment différentes. La première mission des parents est de contribuer à réduire les comportements compensatoires à l'ingestion de nourriture (vomissements, hyperactivité physique...), mais sans recourir à la contrainte. Ils doivent aussi veiller à la régularité des repas. Pour initier le processus du contrôle alimentaire par les parents, un « repas thérapeutique » est habituellement proposé très tôt au cours de la prise en charge. De quoi s'agit-il ? D'un repas familial en présence d'un ou d'une psychologue qui observe le fonctionnement de la famille à cette occasion, et peut également amener les parents à mieux comprendre les besoins nutritionnels du jeune, ceci en collaboration avec un diététicien ou une diététicienne connaissant les principes de cette technique. L'accent sera mis par la suite sur les éventuels problèmes relationnels ou émotionnels détectés. 

Des techniques multifamiliales 

Julie, jeune fille anorexique, a dû être hospitalisée avant qu'une FBT puisse être engagée. Sa mère explique que cette hospitalisation était nécessaire en raison des conséquences de la dénutrition sur le rythme cardiaque et la tension artérielle. Et Sophie, hospitalisée quand elle avait 16 ans, rapporte aujourd'hui, trois ans plus tard, la raison de cette mesure : « J'étais dans un état de dénutrition qui mettait en danger ma santé physique et mentale, voire ma vie. J'avais de l'hypoglycémie, ma tension était très basse et ma température corporelle, inférieure à 35,5 degrés. » Outre dans de tels cas, une hospitalisation peut également se justifier lorsque la thérapie entreprise ne porte pas ses fruits, que se manifestent des problèmes psychologiques induisant de la dépression ou un risque suicidaire ou encore que le contexte familial est délétère. 

« Lors d'une courte hospitalisation, avant le début de la FBT, l'alimentation par sonde permet entre autres de restaurer des fonctions cognitives altérées par la dénutrition, ce qui facilite l'engagement dans la thérapie », souligne Yves Simon. « Dès le troisième jour, l'apport calorique vient alors, pour moitié, d'une alimentation classique. Dans ce cadre, il est demandé aux parents de prendre les repas avec le jeune afin de préparer le retour à la maison et l'engagement dans la FBT. »

Une fois le comportement alimentaire restructuré au cours de la thérapie d'un TCA, le travail n'est pas terminé. Il reste à aborder la question des défis de l'adolescence sous l'angle des préoccupations corporelles, du perfectionnisme, des relations avec les autres jeunes, de l'impulsivité, de la timidité, de la sexualité, etc.  Autant de facteurs qui peuvent jouer un rôle dans ces troubles. 

La Family Based Therapy s'ouvre à la possibilité de constituer des groupes réunissant plusieurs familles. « Les échanges avec d'autres familles nous ont ouvert les yeux sur ce qui aidait ou n'aidait pas notre fils », confiaient les parents de Paul, un garçon boulimique de 17 ans. De surcroît, les familles s'encouragent, se soutiennent, ce qui influence positivement la motivation de chacun. « Il est maintenant démontré que les techniques multifamiliales ont un impact favorable sur le processus de rétablissement », assure de Dr Simon. Les parents peuvent aussi recevoir le soutien de l'association Miata (Maison d’Information et d’Accueil des Troubles de l’Alimentation), une ASBL qui se veut un lieu d'accueil où ils se retrouvent pour des groupes de parole, des rencontres et des conférences.  

Trop peu de spécialistes formés 

Depuis février 2024, la gratuité des consultations chez des psychologues et des diététiciens spécialisés conventionnés est d'application pour les jeunes âgés de moins de 23 ans souffrant de TCA.  Depuis avril 2025, la convention relative aux centres de référence multidisciplinaires belges (proposant des soins ambulatoires et résidentiels) pour les troubles du comportement alimentaire a été mise en place [1].

« Malheureusement », regrette le Dr Simon, « le nombre de psychologues et de diététiciens suffisamment formés aux techniques thérapeutiques individuelles et familiales recommandées dans ces problématiques demeure insuffisant. Dans le contexte des recommandations du COMSMA, des collègues et moi-même avons créé en avril 2022 le CEPIA, lequel a été reconnu par la Région wallonne et l'Inami comme centre de formation. » 

La durée moyenne des TCA est de six ans, mais ils peuvent persister toute une vie. Parmi les 80% de malades qui en guérissent, 50% continueront malgré tout à entretenir des préoccupations pour leur poids, leur silhouette et leur alimentation. 

Remarques
1. Toutes les informations, y compris la liste des centres de référence agréés, sont disponibles en ligne sur la page de l'INAMI consacrée à « La prise en charge des troubles du comportement alimentaire pour les jeunes jusqu’à 23 ans inclus ». 

Objectifs d’apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- L’instauration d’un régime alimentaire comme phase préalable au développement de la boulimie. 
- Les comportements caractéristiques de la boulimie. 
- Les comportements caractéristiques de l’anorexie. 
- Le concept et la mise en œuvre de la Family Based Therapy
- Le concept et la mise en œuvre des thérapies multifamiliales. 
- Les différents auxiliaires disponibles pour les jeunes souffrant de troubles du comportement alimentaire et leurs parents. 

JM Academy
Cliquez ici pour répondre au questionnaire et obtenir un point d'accréditation.

Wat heb je nodig

Accès GRATUIT à l'article
ou
Faites un essai gratuit!Devenez un membre premium gratuit pendant un mois
et découvrez tous les avantages uniques que nous avons à vous offrir.
  • checkaccès numérique aux magazines imprimés
  • checkaccès numérique à le Journal de Médecin, Le Phamacien et AK Hospitals
  • checkoffre d'actualités variée avec actualités, opinions, analyses, actualités médicales et pratiques
  • checknewsletter quotidienne avec des actualités du secteur médical
Vous êtes déjà abonné? 
Écrit par Philippe Lambert16 décembre 2025
Magazine imprimé

Édition Récente
16 décembre 2025

Lire la suite

Découvrez la dernière édition de notre magazine, qui regorge d'articles inspirants, d'analyses approfondies et de visuels époustouflants. Laissez-vous entraîner dans un voyage à travers les sujets les plus brûlants et les histoires que vous ne voudrez pas manquer.

Dans ce magazine