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Indemnisation en cas d’infection nosocomiale : Un pas en avant, trois pas en arrière ?

La Cour de cassation a récemment prononcé un arrêt en matière d’infections nosocomiales qui offre l’occasion de faire le point sur l’état du droit relatif à la question de l’indemnisation des victimes de telles infections.

Intérêt de la question

En matière de responsabilité contractuelle des médecins, il y a lieu de distinguer l’obligation de moyens de l’obligation de résultat.

En principe, le médecin est tenu à une obligation de moyens. Il s’engage à prodiguer des soins attentifs et consciencieux à son patient et à tout mettre en œuvre en vue de la guérison sans garantie toutefois d’atteindre ce résultat.

Ainsi, le simple constat que le résultat escompté n’a pas été atteint ne suffit pas à engager la responsabilité du médecin.

La victime soucieuse d’obtenir l’indemnisation de son préjudice devra donc démontrer un manquement aux règles de l’art en relation causale avec son dommage.

En revanche, dans l’hypothèse d’une obligation de résultat, soit celle par laquelle le praticien s’est précisément engagé à atteindre un résultat déterminé qui n’est pas ou peu aléatoire, la victime devra uniquement démontrer que ce résultat n’a pas été atteint.

Le dommage sera alors présumé résulter d’une faute du praticien qui ne pourra se dégager de sa responsabilité qu’en démontrant qu’il résulte d’une cause étrangère.

Ainsi donc, cette distinction permet de désigner qui, du patient ou du médecin, supporte le risque de la preuve en cas de survenance du dommage.

Cette qualification a donné lieu à des controverses dans le domaine des infections nosocomiales.

Une infection nosocomiale est une infection contractée à l'hôpital et qui était absente (ni présente, ni en incubation) à l'admission du patient.

Elle a une origine endogène lorsque le patient s’infecte avec ses propres germes et exogène lorsque l’infection provient de la transmission d'un malade à l'autre par la contamination des instruments de soin, du personnel médical, de l'environnement hospitalier, voire d'une transmission par le personnel médical de ses propres germes (1).

Si une partie de ces infections peut, par des mesures préventives d’hygiène, être évitée, force est malheureusement de constater que le risque de contracter une telle infection ne peut être totalement éradiqué

Or, si ces infections sont traitées comme n’importe quel aléa thérapeutique, le patient est tenu de démontrer une faute en lien causal avec son dommage pour obtenir indemnisation ce qui peut être quasi impossible alors que les conséquences de telles infections peuvent être très handicapantes.

Etat de la jurisprudence

En réaction à ce constat, une partie de la jurisprudence notamment liégeoise a contourné cette difficulté et décidé que les établissements hospitaliers sont tenus à une obligation de sécurité de résultat, du moins pour les infections nosocomiales exogènes.

A Liège un revirement de jurisprudence s’est opéré et les tribunaux sont revenus au principe de l’obligations de moyens sauf au patient à démontrer que l’infection trouve « son origine dans un matériel, un médicament, un dispositif ou un produit utilisé, à propos duquel le patient était en droit de s’attendre à l’absence de tout défaut ».

La jurisprudence en Belgique reste cependant partagée sur cette épineuse question.

Notre Cour de cassation a récemment été saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles qui a réformé le jugement entrepris de première instance lequel avait qualifié l’obligation de l’établissement hospitalier d’obligation de sécurité de résultat (2).

Après avoir relevé que « les enquêtes réalisées en Belgique comme dans les pays voisins révèlent un taux de prévalence moyen de telles infections se situant entre cinq et dix pour cent » alors que seul « trente pour cent sont évitables par le respect strict de mesures d’hygiène élémentaire (lavage des mains, stérilisation des instruments, port de gants…) tandis qu’environ septante pour cent sont en revanche inéluctables », la Cour d’appel avait décidé ne pouvoir « dans ces conditions, se rallier à la position défendue par le demandeur et admise par le premier juge suivant laquelle les hôpitaux et les médecins seraient tenus envers leurs patients, accessoirement à leur obligation générale de soins (obligation de moyens), d’une obligation de sécurité qui répondrait au régime d’une obligation de résultat et qui aurait pour conséquence que leur responsabilité serait ipso facto établie en présence d’une infection nosocomiale, sauf pour eux à rapporter la preuve d’une cause étrangère exonératoire ».

Suivant le raisonnement de la Cour d’appel, dès lors que la large majorité des infections nosocomiales se présentant habituellement dans les hôpitaux ne peut être évitée malgré le respect strict des consignes d'hygiène, l'hôpital ne peut être tenu, en ce qui concerne de telles infections, que d'une obligation de moyens. Il s’agit d’un risque inhérent à toute intervention et il ne peut être soutenu qu'un médecin ou un établissement de soins s'engage à l'absence d'infection.

Dans son pourvoi en cassation, le patient ayant contracté un staphylocoque doré

critiquait cette décision et arguait qu’à côté de l’obligation de moyens du praticien coexistait une obligation accessoire de sécurité qui est de résultat.

Selon lui, la détermination de la nature d'une obligation de moyens ou de résultat ne dépend pas exclusivement de la présence d'un aléa objectif mais également de la question de savoir qui doit assumer celui-ci.

Il n’a pas été suivi par notre juridiction suprême qui a rejeté son pourvoi après avoir souligné que l’appréciation du caractère de l’obligation (de moyens ou de résultat) relève de l’appréciation souveraine du juge du fond.

Conclusion et alternative

En d’autres termes, la Cour de cassation qui n’est pas un troisième degré de juridiction mais est uniquement tenue de vérifier la correcte application de la loi estime que la Cour peut, sur base de son appréciation souveraine, décider que l’obligation querellée est une obligation de moyens et ce en fonction de toutes les circonstances de la cause propres à l’éclairer sur la commune intention des parties.

Concrètement, la victime d’une telle infection peut encore tenter de plaider l’obligation de résultat et démontrer l’origine exogène et évitable de l’infection contractée.

Elle peut aussi faire le choix de saisir le Fonds des accidents médicaux, organisme pouvant être tenu, dans certaines conditions, d’indemniser les conséquences d’un accident médical sans responsabilité.

Faut-il cependant encore, dans cette seconde hypothèse, que son dommage atteigne un certain seuil de gravité et puisse être qualifié d’anormal au sens de la loi applicable.

A ce sujet, la loi précise que le dommage est anormal lorsqu'il n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science, de l'état du patient et de son évolution objectivement prévisible. Elle ajoute que l’échec thérapeutique et l'erreur non fautive de diagnostic ne constituent pas un accident médical sans responsabilité (3).

Or, si l’on interprète l’expression « qui n’aurait pas dû se produire compte tenu de l’état actuel de la science » comme excluant les risques qui sont des risques connus et que l’on ne peut éviter alors force est de constater qu’on risque d’exclure le pur aléa thérapeutique, fruit du hasard qu’on ne peut maîtriser mais décrit par la littérature comme inhérent à un type d’intervention ce qui est le cas des infections nosocomiales (4).

Eu égard à ce qui précède, en présence d’une infection à staphylocoque doré, le Fonds des accidents médicaux a déjà pu considérer que le dommage ne répond pas à cette définition dès lors que « l’infection à staphylocoque doré est un classique de l’infection nosocomiale qu’il est malheureusement impossible de bannir des hôpitaux. Il s’agit d’un risque connu qui, malgré les progrès de la science et de l’état actuel de celle-ci entendu comme étant à son niveau le plus élevé, peut se produire et cela indépendamment de la qualité des soins prodigués et des aptitudes particulières des dispensateurs de soins intervenant. En l’espèce, compte tenu de l’état actuel de la science, il n’est pas possible de conclure que la mise en œuvre d’un autre traitement ou d’autres mesures préventives auraient permis d’éviter le dommage tel qu’il s’est déroulé concrètement ».

Reste alors la possibilité, en cas d’infection dont la survenance est statistiquement très faible, de contester judiciairement la décision du Fonds des accidents médicaux en arguant que le dommage est anormal car il n’aurait pas dû se produire, bien que connu et théoriquement non exclu.

En conclusion, si diverses pistes sont à envisager en fonction de l’origine de l’infection et de sa cause ainsi que de la probabilité d’y être confronté, la victime reste confrontée à un parcours du combattant avec une incertitude quant au sort qui sera réservé à ses démarches ce qui apparait contraire au vœu du législateur qui était de permettre, à tout le moins, son indemnisation via le Fonds des accidents médicaux.

(1) Marc Vanderweckene « Les infections nosocomiales : une simple question d'hygiène hospitalière ? » RGAR 2002 n°13568.

(2) Arrêt de la Cour cassation - n° C.17.0195.F du 7 novembre 2024.

(3)  Loi du 31 mars 2010 relative à l’indemnisation des soins de santé

(4) Une telle interprétation n’a pas été censurée par la Cour constitutionnelle : Arrêt de la Cour Constitutionnelle n°136/2017 du 30 novembre 2017

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Écrit par Iris Einhorn23 septembre 2025

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