Le journal du medecin

« Le TDAH n’a jamais aussi mal porté son nom »

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Alors que les diagnostics explosent aux États-Unis, une enquête du New York Times relance le débat sur les fondements scientifiques du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Au-delà des frontières américaines, des voix comme celle du Pr Pierre Oswald, directeur du service de psychiatrie de l'H.U.B., appellent à dépasser l’approche purement biologique et à replacer le TDAH dans une perspective développementale, contextuelle et multidimensionnelle.

Le 13 avril dernier, le New York Times Magazine publiait un long article signé Paul Tough qui pourrait bien marquer un tournant dans la manière dont le TDAH est compris, évalué et traité(1). À contre-courant d’un modèle biomédical dominant, l’enquête documente un malaise croissant au sein même de la communauté scientifique, entre inflation des diagnostics, efficacité contestée des médicaments à long terme et absence de marqueurs biologiques fiables.

« L’article est excellent », tranche le Pr Pierre Oswald, psychiatre spécialisé dans les troubles de l’attention. « Il remet en question certaines croyances et synthétise de manière accessible ce que dit la littérature scientifique depuis plusieurs années. »

Une condition dynamique, non figée dans le temps

Le premier point saillant de l’enquête du New York Times concerne la nature même du TDAH : une condition qui évolue, fluctue, et dont les manifestations varient selon les âges de la vie et les environnements. Contrairement à l’image d’un trouble stable et persistant, les données longitudinales montrent que les symptômes constants sont en réalité l’exception. Une analyse longitudinale récente de l’étude MTA (1994–2023)(2) montre que seuls 11 % des enfants suivis conservent un profil symptomatique stable d’année en année.

« Le TDAH n’est pas un trouble stable et permanent », insiste Pierre Oswald. « Les symptômes constants sont l’exception, ce qui suggère que le TDAH est davantage une réponse variable à des contextes spécifiques qu’un dysfonctionnement cérébral permanent. Cette idée, bien présente dans la littérature scientifique, peine encore à s’imposer auprès des soignants et du grand public. »

En Belgique, la question du TDAH suscite également un intérêt croissant. Selon les Mutualités chrétiennes, environ 3 à 12 % des enfants et 1 à 6 % des adultes seraient concernés. Mais seuls 2,4 % des moins de 18 ans sont actuellement traités par méthylphénidate, avec une nette surreprésentation des garçons (3,5 % contre 1,3 % chez les filles). Des chiffres encore loin des 11,4 % d’enfants diagnostiqués aux États-Unis, mais qui montrent une dynamique comparable d’augmentation.

Cette conception figée du trouble résiste pourtant à l’épreuve des faits. L’enquête rappelle que les symptômes sont souvent sensibles aux changements de cadre : milieu scolaire rigide, pression académique ou contexte familial instable tendent à exacerber l’inattention ou l’agitation, là où des environnements plus flexibles ou stimulants permettent parfois une atténuation spontanée. Une variabilité qui plaide en faveur d’un modèle moins catégoriel et plus développemental.

Une structure cérébrale normale… dans des contextes inadaptés

Pendant des années, l’une des principales justifications du diagnostic de TDAH a reposé sur des différences structurelles cérébrales supposées : volume réduit de certaines régions, activité électrique altérée, gènes candidats. Mais à mesure que la science affine ses outils, ces hypothèses s’étiolent. Les études les plus robustes, comme celles menées par le consortium Enigma sur plus de 4.000 cerveaux scannés, concluent à l’absence de différence significative entre enfants avec ou sans diagnostic, ou à des écarts si ténus qu’ils en perdent leur valeur explicative.

Le constat est sans appel : il n’existe toujours pas, à l’instar d’ailleurs de la plupart des troubles psychiatriques, de biomarqueur fiable du TDAH. Et même les chercheurs à l’origine de certaines publications phares le reconnaissent aujourd’hui, comme Martine Hoogman, qui regrette d’avoir contribué à des interprétations exagérément neurobiologiques. Pour Pierre Oswald, ce tournant est essentiel : « Il n’existe pas de preuve définitive d’un trouble neurobiologique structurel. Le TDAH serait plutôt un désalignement entre le cerveau – de l’enfant ou de l’adulte – et son environnement. »

Pierre Oswald
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« Le TDAH n’est pas un trouble stable et permanent, mais une réponse variable aux contextes de vie. » - Pierre Oswald

Ce désalignement se manifeste plus intensément dans des cadres monotones, rigides ou peu stimulants : écoles peu adaptatives, environnements familiaux instables, attentes scolaires uniformes. À l’inverse, des contextes riches, engageants ou différenciés peuvent atténuer considérablement les symptômes. D’où l’importance cruciale, selon le clinicien, d’évaluer le TDAH dans sa dynamique écologique, et non comme une entité biologique isolée.

Cette approche entre en résonance avec les conclusions de plusieurs chercheurs internationaux, qui plaident pour un déplacement du regard : du cerveau vers l’interaction entre l’individu et son milieu. Une révolution lente, mais peut-être salutaire, alors que la tentation reste forte – y compris en Europe – de médicaliser toute difficulté scolaire ou comportementale persistante.

Psychostimulants : effet moteur à court terme, essoufflement sur la durée

L’enquête du New York Times revient longuement sur le rôle des psychostimulants dans le traitement du TDAH. Dès les années 1990, l’étude MTA avait démontré leur efficacité comportementale à court terme. Mais les résultats à long terme sont venus tempérer cet enthousiasme : après trois ans, plus aucune différence significative entre les enfants traités et non traités n’était observable, ni sur les symptômes, ni sur la réussite scolaire.

Pour le Pr Oswald, ce constat rejoint l’expérience clinique. « L’efficacité des psychostimulants tend, dans une proportion non négligeable de cas, à s’estomper après un ou deux ans. » Si certains patients continuent à y répondre favorablement, l’absence d’études longitudinales solides sur plusieurs décennies laisse planer une incertitude sur le rapport bénéfices/risques. Parmi les effets indésirables les mieux documentés figurent une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque même si à ce jour, ils ne semblent pas être associés à long terme à des troubles cardiovasculaires sévères.

Mais au-delà de l’impact biologique, c’est la nature même de l’effet recherché qui interroge. Comme le souligne l’enquête, les psychostimulants n’améliorent guère la compréhension ou la mémorisation à long terme. Ils modifient plutôt la manière dont les enfants – ou les adultes – tolèrent l’ennui et s’engagent dans des tâches répétitives.

« Ces médicaments semblent influer surtout sur la tolérance à l’ennui et la motivation », explique Pierre Oswald. « Ils peuvent être utiles pour “mettre le moteur en route”, mais il est essentiel de développer en parallèle des stratégies d’adaptation à l’environnement afin de maintenir la motivation sur le long terme. »

Cette dimension affective est souvent minimisée dans les discours dominants, qui présentent le TDAH comme un déficit cognitif à corriger chimiquement. Pourtant, la motivation – ou son absence – est une clé essentielle pour comprendre la manière dont certains enfants décrochent en milieu scolaire, sans pour autant souffrir d’une déficience intellectuelle.

Pierre Oswald reconnaît toutefois que certains patients conservent une efficacité prolongée sous traitement, et qu’un usage temporaire, dans des périodes de surcharge ou de transition, peut se justifier. À condition, dit-il, « de ne jamais considérer ces médicaments comme une solution autonome, mais comme un levier temporaire dans une stratégie globale ».

À l’âge adulte, moins de symptômes… mais des séquelles possibles

Contrairement à l’image d’un trouble linéaire, les chercheurs ont constaté que chez la majorité des individus, les symptômes ne persistaient pas dans le temps. Ils apparaissaient, disparaissaient, puis parfois réémergeaient en fonction des contextes et des étapes de vie.

Ce phénomène de rémission partielle ou complète à l’âge adulte est bien connu des cliniciens. Pour Pierre Oswald, il s’explique en partie par la maturation cérébrale : « On observe souvent une atténuation des symptômes de base à l’âge adulte, possiblement liée à la maturation du cortex préfrontal. » Mais cette évolution favorable n’efface pas les traces laissées par une enfance difficile. « Une mauvaise adaptation à l’environnement durant l’enfance peut entraîner des difficultés fonctionnelles persistantes à l’âge adulte, même si les symptômes de base diminuent. »

Troubles de l’estime de soi, décrochage scolaire, trajectoires professionnelles instables, dépendances, troubles anxieux ou dépressifs… Les complications à long terme ne sont pas dues au TDAH en tant que tel, mais aux stratégies de compensation – parfois dysfonctionnelles – mises en place lorsque l’environnement est inadapté. Un enfant privé de soutien, de reconnaissance ou de flexibilité éducative risque de se construire dans la marginalité ou le rejet. Tous des arguments en faveur d’une approche précoce et longitudinale du TDAH, associant spécialistes de l’enfance et de l’âge adulte.

Les données belges disponibles confirment en creux ce constat. Alors que jusqu’à 6 % des adultes pourraient être concernés par un TDAH, très peu sont diagnostiqués ou suivis. Les consultations en santé mentale débordent, et les parcours diagnostiques restent inégalement accessibles. Cette absence de reconnaissance du trouble chez l’adulte contribue à maintenir un angle mort dans le système de soins, et à perpétuer la souffrance silencieuse de nombreux patients.

TDAH
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Le bon traitement n’est pas forcément celui qui agit sur le cerveau, mais celui qui agit sur la relation entre un individu et son environnement.

Le TDAH, au carrefour du biologique, du psychologique et de l’environnement

L’un des mérites majeurs de l’enquête du New York Times est de démonter la fausse alternative entre approche biologique et approche psychologique du TDAH. En réalité, aucun modèle ne suffit seul à rendre compte de la complexité du trouble. Les chercheurs interrogés insistent tous sur une conception intégrative, qui articule facteurs neurologiques, vulnérabilités personnelles et influences contextuelles.

Le Pr Pierre Oswald abonde dans ce sens : « Il est essentiel d’adopter une approche multidimensionnelle, intégrant les dimensions biologiques, psychologiques et environnementales. Le TDAH ne peut être réduit à une simple déficience structurelle cérébrale, ni à une problématique strictement psychologique. C’est l’interaction entre ces facteurs qui explique la symptomatologie. »

Dans cette perspective, un même enfant peut voir ses symptômes s’aggraver ou s’estomper selon le cadre scolaire, le niveau de stress parental, ou encore la qualité de l’alliance thérapeutique. La prise en charge doit donc aller bien au-delà du simple diagnostic et du traitement médicamenteux. Elle implique un travail systémique : accompagnement familial, aménagements pédagogiques, valorisation des compétences, soutien à l’estime de soi, adaptation de l’environnement.

C’est aussi l’un des enseignements du suivi des participants à l’étude MTA : les jeunes adultes qui rapportent une amélioration durable de leurs symptômes sont souvent ceux qui ont trouvé leur « niche », un cadre de vie ou de travail en adéquation avec leur profil. Plutôt qu’un modèle de réparation cérébrale, c’est un modèle d’ajustement écologique qui semble le plus porteur.

« Le bon traitement n’est pas forcément celui qui agit sur le cerveau, mais celui qui agit sur la relation entre un individu et ce qu’on attend de lui dans un cadre donné », résume Pierre Oswald.

Un trouble du développement, ou une facette de la personnalité ?

Dans la continuité de l’approche multidimensionnelle, certaines voix proposent de réinscrire le TDAH dans une perspective encore plus large, celle des traits de personnalité. Le clinicien et auteur Gabor Maté, dont les travaux sont mentionnés par le Pr Oswald, défend une lecture du TDAH comme marqueur d’une fragilité cérébrale certes réelle, mais surtout révélatrice d’un besoin d’adaptation inassouvi, d’une hyperréactivité émotionnelle face à un environnement perçu comme menaçant ou inadapté. « Le TDAH pourrait, dans une certaine mesure, s’apparenter à une forme de trait de  personnalité », avance Pierre Oswald. « Il s’agit d’une condition fluctuante, marquant une fragilité cérébrale mais surtout une nécessité d’adaptation à l’environnement. »

Cette idée rejoint celle, défendue par plusieurs chercheurs, d’un trouble qui s’exprime avant tout dans l’interaction avec les normes sociales, les attentes scolaires, les contraintes professionnelles. Un individu impulsif, désorganisé ou distrait peut ainsi apparaître pathologique dans un contexte normé, mais parfaitement fonctionnel dans un environnement créatif, flexible ou autonome.

Les conséquences de cette relecture sont majeures. Le traitement ne se limite plus à un ajustement pharmacologique : il devient un accompagnement identitaire, une recherche de cohérence entre le tempérament profond de l’individu et la place qu’il peut occuper dans la société. Les médicaments, dans ce cadre, peuvent jouer un rôle ponctuel, mais ils doivent être pensés comme des aides à la régulation, non comme des correcteurs de fonctionnement défaillant. « Les traitements médicamenteux peuvent aider », reconnaît Pierre Oswald, « mais doivent idéalement être associés à des interventions environnementales et fonctionnelles. »

Ce déplacement du regard – de la “réparation” à l’ajustement – redonne du pouvoir aux patients, en particulier aux adolescents et jeunes adultes. Il ouvre la voie à une compréhension moins stigmatisante, et à une narration alternative : celle d’un fonctionnement atypique, mais riche, qu’il s’agit d’intégrer plutôt que de gommer.

Redéfinir le TDAH : entre nuance scientifique et responsabilité clinique

Pour Pierre Oswald, il est temps de repenser le cadre nosologique lui-même : « Le TDAH n’a jamais aussi mal porté son nom. ‘Trouble’ ? On découvre chaque jour davantage qu’il s’agit d’une disposition développementale et dimensionnelle. ‘Déficit’ ? Non, car les patients peuvent avoir des capacités cognitives normales, voire supérieures. ‘Attention/hyperactivité’ ? Chez l’adulte, ce sont les conséquences fonctionnelles qui priment. »

Cette nouvelle approche redonne du sens à la prise en charge : non plus identifier une anomalie à corriger, mais comprendre une singularité à accompagner. Il ne s’agit pas de nier la souffrance, ni d’ignorer les apports ponctuels des psychostimulants, mais de reconnaître que les symptômes du TDAH sont souvent les signaux d’un désajustement – pas d’une déficience.

Dans cette optique, le rôle du clinicien ne se limite plus à prescrire, mais à écouter, contextualiser, ajuster. Et celui du système de soins consiste à créer les conditions d’une prise en charge globale, inclusive, interdisciplinaire. En Belgique comme ailleurs, c’est à ce prix que l’on évitera de médicaliser l’ennui scolaire, les comportements atypiques, ou la souffrance sociale.

Références:
1. Paul Tough, « Have We Been Thinking About A.D.H.D. All Wrong? », The New York Times Magazine, 13 avril 2025. En ligne : https://www.nytimes.com/2025/04/13/magazine/adhd-medication-treatment-research.html?  
2. Étude MTA : Multimodal Treatment Study of Children with ADHD, vaste essai clinique lancé en 1994 par le National Institute of Mental Health (NIMH), ayant suivi près de 600 enfants sur plus de vingt ans pour comparer l’efficacité des traitements médicamenteux, comportementaux et combinés du TDAH.

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Écrit par Laurent Zanella
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