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Et si le cerveau était capable de contrôler les bactéries intestinales ?

axe cerveau intestin
© Getty Images

RECHERCHE FONDAMENTALE - Des chercheurs espagnols, en collaboration avec l’équipe du Pr Patrice Cani (UCLouvain), viennent de démontrer que le cerveau peut influencer très rapidement la composition du microbiote intestinal. Ce travail réalisé sur modèle animal ouvre la voie à la mise au point d’interventions pour rétablir la communication entre le cerveau et l’intestin.

Le journal du Médecin : Comment êtes-vous arrivé dans ce projet de recherche ?

 Pr Patrice Cani : Je travaille sur le microbiote intestinal depuis plus de 25 ans. J’ai réalisé ma thèse de doctorat (défendue il y a 20 ans déjà) sur l’axe intestin-cerveau, comment les bactéries dialoguent avec les cellules et comment des fibres alimentaires peuvent influencer la faim et la satiété. Ce projet-ci n’est pas né à mon initiative, mais à celle de collègues espagnols, le Dr Marc Claret et le Pr Ruben Nogueiras, qui m’ont proposé de tester si le cerveau avait la capacité de modifier la composition du microbiote. En effet, on parle toujours de l’axe microbiote-intestin-cerveau, mais jamais de l’impact du cerveau sur le microbiote lui-même. Avec le Pr Matthias Van Hul (UCLouvain), Marc Claret et Ruben Nogueiras, nous avons réfléchi à des expériences sur modèles animaux qui permettraient de répondre à cette question. Notre étude est publiée dans la revue Nature Metabolism et a été financée principalement par La Caixa Foundation avec le soutien du WELRI et du FNRS.

 Qu’avez-vu réussi à démontrer ?

Dans l'hypothalamus, deux populations de neurones - orexigènes et anorexigènes - contrôlent la prise alimentaire. On sait depuis longtemps que lorsqu’on ingère des aliments, on modifie le microbiote intestinal. Dans notre hypothèse, il fallait pouvoir stimuler les zones cérébrales contrôlant la faim, sans donner de nourriture à l’animal, pour prélever ensuite des échantillons dans le tractus intestinal et vérifier si les bactéries étaient modifiées. L’équipe espagnole a utilisé des techniques génétiques et pharmacologiques afin d’atteindre plusieurs zones du cerveau qui contrôlent l’appétit. Chez la souris, ils ont notamment inséré un implant intracérébral pour injecter des hormones comme la leptine ou la ghréline afin d’activer ou de bloquer à la demande les neurones de l’appétit et de déterminer les actions de chaque molécule sur le comportement du microbiote intestinal.

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il y avait un impact direct d'une modulation de cette zone cérébrale dans l’hypothalamus avec une modification du comportement du microbiote dans la partie haute de l’intestin. Et ceci, très rapidement, en à peine 2 heures. Ce qui nous a fortement étonnés. Nous avons aussi démontré que ce n’était pas dû à une modification de la motilité intestinale. En fait, c’est le système nerveux sympathique qui modifie l’activité des cellules au niveau du duodénum, et la production par exemple d’adrénaline à cet endroit-là. Il y a donc une communication qui se fait directement. On n’a pas encore décortiqué toutes ces interactions, mais le concept est très intéressant : nos neurones dans le cerveau contrôlent la quantité et l’activité ou le type de bactéries présentes dans nos intestins !

Vous avez été surpris par cette découverte, par la capacité du cerveau à contrôler la composition des bactéries, et par l’ampleur de ces modifications à la fois en termes de quantité et d'espèces bactériennes ?

Oui. On a fait des analyses du microbiote intestinal, notamment par séquençage ADN à haut débit. Quand on a vu que systématiquement dix à onze familles bactériennes étaient modifiées, nous avons conclu que c'était tout l'écosystème qui était modifié, à la baisse ou à la hausse. Nous avons analysé, par métabolomique, dans le duodénum, l’ensemble des métabolites, lesquels se sont également révélés être modifiés. Idem pour les gènes : un séquençage de l’ensemble des ARN dans le duodénum de ces animaux a de nouveau montré une forte modification de l'expression des gènes. Et l’ensemble de ces modifications surviennent très rapidement, en touchant juste aux neurones dans le cerveau.

 Vous avez également observé que cette action du cerveau sur le microbiote ne se produit pas chez la souris obèse et diabétique…

Oui, réaliser ce genre d’expérience chez des animaux obèses et diabétiques de type 2 ne change pas le microbiote intestinal. Dans ce cas, il y a donc une rupture de la communication entre l’hypothalamus et le microbiote. Pourquoi ? Nous avons des hypothèses. On sait déjà que chez les sujets obèses et diabétiques de type 2, chez l’animal et l’homme, il y a une résistance à l’action de l’insuline et de la leptine, de même que toute une série de défauts, comme une neuro-inflammation qui fait que le cerveau n'est plus capable de communiquer correctement avec les organes périphériques. Il est possible que l'ensemble de ces défauts soit en partie présents, et explique pourquoi on perd cette communication entre le cerveau et le microbiote.

Patrice Cani"Il n’est pas impossible que cette modification du microbiote prépare notre organisme et notre intestin à recevoir les aliments, puis à renvoyer un message vers le cerveau et d’autres organes."

- Pr Patrice Cani


Ces travaux proposent donc une nouvelle façon d'appréhender l’axe cerveau-intestin ?

 Il y a 25 ans, quand je parlais de mes recherches sur l’impact de « la flore intestinale » sur le cerveau et l’appétit, on me disait que c’était de l’ésotérisme. Avec la Pre Nathalie Delzenne, nous étions de fervents défenseurs de ce potentiel axe intestin-cerveau, qui aujourd’hui est accepté partout. Par conséquent, aujourd’hui, je me dois d’accepter le fait qu’en touchant uniquement à des neurones qui contrôlent l’appétit, on peut contrôler des bactéries intestinales. C’est un changement de paradigme dans ce sens-là : ce ne sont pas que l'intestin et les bactéries qui influencent notre cerveau, mais peut-être qu’il y a aussi cette communication permanente du cerveau avec nos bactéries. Dans l’article, on donne une hypothèse : il n’est pas impossible que cette modification du microbiote prépare notre organisme et notre intestin à recevoir les aliments, à digérer peut-être de manière différente et ensuite, à renvoyer un message vers le cerveau et d’autres organes, et ainsi de suite. 

Vos travaux ouvrent-ils des pistes potentielles de traitement ?

Cette découverte permettra, à terme, de développer des processus d’intervention pour rétablir la communication entre le cerveau et l’intestin, et ainsi agir sur les habitudes alimentaires. Mais j’insiste, il s’agit de recherche fondamentale, chez l’animal. Pour être honnête, on s’est demandé ce qu’on allait faire avec ces résultats. Les bactéries sont contrôlées par le cerveau, on y croit, mais qu’est-ce que ça va nous apporter de plus ? Les éditeurs de journaux nous ont cependant convaincus de publier parce qu’on allait peut-être ouvrir de nouvelles pistes de recherche.

Sur quoi travaillez-vous, actuellement ?

Dans mon laboratoire, on essaie de comprendre comment des modulations du microbiote dialogueraient avec notre système nerveux, dont le SN entérique, et auraient un impact sur la régulation de la prise alimentaire, parce qu’il est assez compliqué de cibler uniquement le cerveau. Plus on travaille sur ces sujets, plus on ouvre de portes. Mais ce qui est extrêmement important, c’est de bien se rendre compte que le microbiote n’explique pas tout. Il ne faut pas donner de faux espoirs aux gens. On vient d’ouvrir une nouvelle piste, il faut accepter qu’elle n’est pas encore porteuse d’un espoir particulier, d’autres chercheurs doivent s’en emparer. Ça reste le début d’une histoire.

 >> Toledo, M., Martínez-Martínez, S., Van Hul, M. et al. Rapid modulation of gut microbiota composition by hypothalamic circuits in mice. Nat Metab (2025). https://doi.org/10.1038/s42255-025-01280-3

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Écrit par Un entretien de Martine Versonne15 mai 2025

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