Le journal du médecin

[opinion] Qui a peur du ticket modérateur ?

Cette opinion parue dans la revue  « Grain à moudre » et publiée le 01/08/2025, est un billet d’humeur issu des réflexions du Dr Lawrence Cuvelier, président du GBO/Cartel, mis en forme par le Dr Axel Hoffman*.

Lawrence Cuvelier
Le Dr Lawrence Cuvelier dans sa maison de campagne (crédit : Cécile Vrayenne)

L’idée de toucher au ticket modérateur suscite parfois des tempêtes. Dans un verre d’eau ?

La Belgique n’a plus remporté le Tour de France ou le concours Eurovision de la chanson depuis des temps immémoriaux mais qu’importe, elle peut s’enorgueillir d’un bilan très honorable en ce qui concerne l’accès aux soins de santé. Et ce n’est pas une mince performance dans un pays qui croule sous le poids de sa dette et de ses charges. Revers de la médaille, on nous demande d’être sans cesse plus compétitif et cette course à la performance n’épargne pas la sécurité sociale. En termes plus triviaux : « il faut faire des économies ».

Un volume de télé-consultations "étonnant" 

Dans ce contexte, le remboursement de la consultation téléphonique a été supprimé récemment. En premier lieu parce qu’elle dépassait le budget (qui n’avait pas été prévu). Ensuite parce qu’une minorité de médecin avait trouvé dans ces consultations une source de revenus d’un volume parfois étonnant. Il a donc été demandé aux organisations syndicales de proposer des économies alternatives si elles voulaient éviter la suppression du financement de la téléconsultation.

À l’époque, nous avions suggéré de réaliser l’économie nécessaire sur la masse de la prochaine indexation des honoraires. Mais il n’y avait pas de gouvernement … Autre idée : une augmentation de la part du ticket modérateur (TM) dans le coût de l’acte, sachant qu’il n’avait pas été indexé depuis belle lurette.

La pratique de terrain montre que ce n’est pas une indexation du TM qui va générer une perte d’accessibilité financière aux soins, alors que la suppression des phono-consultations pose, elle, un problème majeur d’accès aux soins.

 L’argent qui freine (remgeld)

Idée fort mal accueillie. Je sais que la « philosophie » du TM (en néerlandais remgeld, « argent qui freine ») est de freiner un accès abusif aux soins. On peut donc imaginer que son augmentation entraverait davantage l’accès aux soins. Personnellement j’ai toujours considéré cette position comme une vue de l’esprit sans impact réel. Pour les patients sans problème financier le TM pratiqué en médecine générale ne freine rien et quant à ceux pour qui débourser un euro est problématique (et il en existe !), jamais je ne leur ai refusé un soin, même si j’y perdais cet euro, et je pense que nous faisons tous pareil !

Prenons maintenant la philosophie du TM par l’autre bout de la lorgnette, qu’arriverait-il si on le faisait disparaître ? La grande peur a toujours été de voir alors les patients abuser de la gratuité en médecine générale. Pourtant, dans la pratique au forfait (où le patient ne paie rien) on ne constate jamais un « afflux anormal ». Ce qui n’est pas le cas des urgences saturées en permanence… Bref, dans le contexte actuel où les montants restent légers, le concept de TM me semble creux.

 Augmentation du TM en chiffres

Et sur un plan concret, chiffré, que représenterait une indexation du TM ? Le belge consulte en moyenne 5,8 fois par an. Une indexation du TM de 2,5 euros pour l’assuré ordinaire représenterait donc une dépense totale en TM* d’environ 37,7 euros par an au lieu de 23,2 euros. Pour ceux qui bénéficient d’une intervention majorée, une indexation du TM de 0,5 euros représenterait une dépense totale en TM* d’environ 11,6 euros par an au lieu de 8,7 euros.

On nous a accusé de façon à peine voilée d’accroitre les inégalités en santé parce que nous plaidions pour une indexation du TM (en contrepartie du maintien de remboursement de la téléconsultation, très favorable à l’accessibilité aux soins). Connaissant les défis de l’accès à la santé pour les plus fragiles, je trouve ce procès mal fondé. Bien sûr, les personnes à faible capital social et culturel se trouvent généralement en moins bonne santé que les autres, elles présentent souvent des maladies chroniques telles que diabète et/ou hypertension et pâtissent d’une moindre capacité de gestion de leurs soins.

Quand je m’inquiète pour un patient obèse, au diabète mal équilibré et avec une hypertension, il tente de me rassurer en disant qu’il voit son cardiologue et son diabétologue une fois par an et que ça lui suffit. De la même façon, des femmes arrivent à l’hôpital pour accoucher sans aucun suivi préalable, que ce soit par une sage-femme, un gynécologue ou un généraliste et ce n’est pas en trois jours d’hôpital qu’un suivi correct va s’instaurer.

Ces exemples illustrent que les patients en situation de précarité sont trop préoccupés par leur survie et par le stress du quotidien pour se permettre le « luxe » d’un suivi médical cohérent. Ils font souvent des dépenses illogiques telles que l’achat inconsidéré de compléments alimentaires ou de produits promettant une éternelle jeunesse ou adoptent des comportements inappropriés, notamment dans les raisons de recours aux services d’urgences et à certains spécialistes ce qui, conjugué à la pénurie de généraliste est à mon avis un facteur majeur de dépenses injustifiées.

Débat constructif

Au vu cette situation réelle, la pratique de terrain montre que ce n’est pas une indexation du TM qui va générer une perte d’accessibilité financière aux soins et ce constat devrait être pris en compte dans les discussions avec les autorités et les mutuelles. Seul l’apport de données objectives dans un débat constructif pourra nous mener à des solutions structurelles pour une meilleure santé à coût égal. Ne nous trompons pas de combat !

 

* Part personnelle des bénéficiaires avec régime préférentiel dans le cadre du DMG

** Il témoigne des opinions personnelles de leurs auteurs (et n’engagent qu’eux), sans nécessairement refléter la position du GBO/Cartel.

 

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Écrit par Lawrence Cuvelier5 août 2025

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