Campagne Match-Match
Cancers du sang : « Le don de moelle osseuse est un geste gratuit qui peut sauver une vie »
Ce 22 septembre, mois de sensibilisation aux cancers du sang, plusieurs associations de patients, des hématologues, des donneurs, des cercles étudiants et AbbVie lancent la campagne « Match Match », avec le soutien de la Croix-Rouge de Belgique et Rode Kruis-Vlaanderen. Inspirée des applis de rencontre, la campagne joue sur l’idée du match – mais ici, un match génétique peut sauver une vie. Explications avec le Pr Carlos Graux (CHU Mont-Godinne).
Chaque heure, une personne en Belgique apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sang. Pour beaucoup, une greffe de cellules souches est la seule chance de survie. Mais trouver un donneur compatible relève souvent du miracle : une chance sur un million hors du cercle familial. Le Pr Carlos Graux, chef du service d’hématologie du CHU (UCL) Namur (site Mont-Godinne), explique pourquoi il est crucial de recruter des jeunes donneurs de cellules souches issues de la moelle osseuse et comment un simple geste peut transformer le destin d’un patient.
Journal du Médecin : Chaque heure, une personne en Belgique apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sang. Comment expliquer une telle incidence ?
Pr Carlos Graux : C’est effectivement impressionnant. Ces maladies existent depuis toujours, mais l’incidence semble en hausse. Dans la majorité des cas, on ne connaît pas la cause : elles peuvent toucher n’importe qui, indépendamment de la classe sociale ou du mode de vie. Cela dit, certains facteurs sont incriminés : expositions à des pesticides, à des toxiques, au benzène… Un contexte de pollution contribue probablement à cette hausse. Nous manquons encore de données robustes : l’État devrait investir davantage pour y voir clair.
La greffe de cellules souches revient souvent comme traitement-clé. Est-ce « la » solution ? Pourquoi est-ce si crucial… et si complexe ?
La greffe n’est pas la seule option pour les cancers du sang, mais pour certains sous-types - notamment des leucémies, donc des cancers des globules blancs - elle est la seule chance de guérison durable.
Les cellules souches hématopoïétiques sont les « mères » des cellules sanguines (globules rouges, globules blancs, plaquettes). Elles se trouvent dans la moelle osseuse - à ne pas confondre avec la moelle épinière ! Quand on parle de « greffe de moelle », le grand public imagine parfois la colonne vertébrale : c’est faux. On parle bien de moelle osseuse, l’organe rouge qui tapisse les cavités des os.
Il existe de nombreux sous-types de leucémies : comme dans une armée, chaque « soldat » (type de globule blanc) peut, s’il devient cancéreux, donner une maladie particulière. Dans certains cas, seule la greffe peut « remplacer » le système sanguin malade par un système sain issu d’un donneur.
"Entre frères et sœurs, il y a une chance sur quatre de partager exactement le même code."
Trouver un donneur compatible dans la famille est-ce réellement plus simple ?
C’est plus facile, pas forcément « mieux ». Le système HLA (Human Leukocyte Antigen), disons un code à 12 chiffres, est hérité de nos parents. Entre frères et sœurs, il y a une chance sur quatre de partager exactement le même code. Mais la plupart des leucémies touchent surtout des adultes (50-60-70 ans). Or leurs frères et sœurs peuvent être trop âgés ou en moins bonne santé. Et, de manière générale, on privilégie des donneurs jeunes : leur système immunitaire est plus « naïf », plus tolérant, donc moins à risque de se retourner contre le receveur après la greffe.
18-39 ans, meilleurs donneurs
D’où l’accent mis sur les 18-25 ans ?
Oui, voire plutôt 18-39 ans. D’abord pour une raison pragmatique : l’analyse HLA coûte cher, autant la réaliser chez des personnes qui resteront longtemps actives dans le registre. Ensuite pour une raison médicale : les greffons de jeunes donneurs entraînent en moyenne moins de complications immunologiques. Enfin, il y a une dimension humaine : beaucoup de jeunes veulent poser un geste altruiste, gratuit, à contre-courant d’une société perçue comme dominée par l’intérêt et le profit.
Pourquoi sont-ils encore si peu nombreux, ces jeunes donneurs ?
Par manque de sensibilisation, et à cause d’un mythe persistant : l’idée que l’on prélève dans la moelle épinière. Ce n’est pas le cas.
Justement, comment se passe le don aujourd’hui ?
Le don s’est beaucoup simplifié. Avant, il fallait une anesthésie générale et des ponctions dans l’os du bassin. Aujourd’hui, le plus souvent, on fait un prélèvement dans le sang : le donneur reçoit des injections quotidiennes pendant 4–5 jours d’un facteur de croissance pour « mobiliser » les cellules souches depuis la moelle vers la circulation ; puis il se rend dans un centre de prélèvement (près de chez lui, dans son pays) pour une séance d’aphérèse de 2–3 heures : le sang sort par un bras, la machine « capte » les cellules souches, et le reste du sang est rendu par l’autre bras.
Effets secondaires limités
Y a-t-il des effets secondaires ?
Oui. il y a des effets secondaires possibles : courbatures/douleurs osseuses, une fatigue passagère, un état grippal léger pendant les quelques jours d’injections - en général bien contrôlés par du paracétamol (type Dafalgan). Il peut y avoir un jour ou deux de fatigue autour du don. Globalement, c’est limité.
La campagne « Match-match » joue sur l’idée de compatibilité, façon applis de rencontre… pour séduire plus de jeunes ?
Oui, avec une touche d’humour. La compatibilité HLA hors famille reste rarissime : une chance sur des millions d’avoir le même code complet. Les registres sont fournis en Europe donc pour les Caucasiens c’est plus facile, mais certaines origines ethniques sont sous-représentées : patients des îles, patients africains, métis… Nous avons récemment suivi une personne du Cap-Vert : aucun donneur compatible dans les registres. On a trouvé des solutions alternatives, mais c’était compliqué. D’où l’importance que des jeunes de toutes origines s’inscrivent, pour donner une chance à chacun.
Au-delà du nombre, qu’apporte un registre plus large ?
Ce n’est pas qu’une question quantitative, c’est qualitatif. Plus le registre est large et diversifié, plus on trouve de meilleures compatibilités. Faute de mieux, il arrive qu’on accepte un donneur 9/12. Ça augmente le risque immunologique (le nouveau système immunitaire peut se retourner contre le patient) et complique la suite. Un registre enrichi, c’est plus de receveurs ayant un donneur, et mieux appariés.
Don anonyme
Le don est-il anonyme ? Le donneur rencontre-t-il le receveur ?
Le don reste anonyme. Les enjeux autour d’une éventuelle rencontre sont trop importants. L’essentiel est ailleurs : savoir qu’on a permis à un inconnu de continuer sa vie.
Quel message adresseriez-vous à un jeune qui hésite ?
Qu’il s’agit d’un geste gratuit qui prend quelques heures, avec des désagréments limités, et qui peut sauver quelqu’un. Beaucoup de jeunes ont envie de « nager à contre-courant » du monde d’aujourd’hui, basé essentiellement sur l’argent, de poser un acte « sans rien attendre en retour » comme dit la chanson de Florent Pagny. Pour nous, soignants, annoncer à un patient qu’on a trouvé un donneur compatible est un moment merveilleux. Ce n’est pas la garantie de la réussite - la greffe nécessite ensuite une gestion fine du nouveau système immunitaire - mais c’est ce qui permet d’avancer.