La dépression résistante au traitement : que peut-on faire ?
Le trouble dépressif majeur (TDM, alias « dépression clinique ») est très prévalent dans le monde, l’actualité faite de crises diverses, de guerres et de catastrophes s’ajoutant à des facteurs de risque tels que la précarité sociale ou financière, le mal-être au travail ou encore l’isolement. Selon l’OMS, le TDM n'est rien moins que le principal contributeur à la perte d’années de vie en bonne santé.
Globalement, les preuves ne manquent pas pour soutenir l’efficacité des antidépresseurs conventionnels, ainsi que de la psychothérapie classique et de certaines modalités spécifiques de neurostimulation. Il n’empêche que la majorité des personnes atteintes de TDM répondent de manière insuffisante aux traitements de première intention. Pis encore : une proportion substantielle d’entre elles répondent mal à plusieurs lignes de médicaments antidépresseurs, ce qui se traduit par le concept de dépression résistante au traitement (DRT).
Des chiffres flous, pour une pathologie pourtant courante
Cette non-réponse à plusieurs antidépresseurs conventionnels est fréquente : sur base d’estimations épidémiologiques internationales, on extrapole à plus de 100 millions le nombre de personnes qui, dans le monde, souffrent de DRT. Cette pathologie s’est vu proposer de nombreuses définitions, différant par leur cadre conceptuel, leurs critères opérationnels et leurs hypothèses de travail. Mais, faute d’un consensus, la prévalence exacte de la DRT reste sujette à discussion.
L’EMA et la FDA ont adopté la définition la plus courante de la DRT : une réponse inadéquate à au moins deux antidépresseurs malgré un essai thérapeutique adéquat et une bonne observance thérapeutique. On estimerait ainsi qu’au moins 30 % des personnes dépressives répondent à cette définition. À noter qu’un pourcentage significatif des personnes qualifiées comme souffrant de DRT sont en réalité pseudo-résistantes, par exemple en raison d’essais thérapeutiques inadéquats ou d’une mauvaise observance. Une autre raison pour expliquer le flou actuel en termes de prévalence.
La DRT a de multiples implications sérieuses en santé publique, notamment avec des coûts économiques directs et indirects associés au TDM, et dont plus de la moitié lui seraient attribuables à la DRT. Cette charge personnelle et sociétale justifient une attention particulière à sa détection et, si possible, à sa prise en charge algorithmique. Malheureusement, la prévention de la DRT n’est une priorité de santé publique dans aucun pays au monde actuellement.
Beaucoup de recommandations, trop de variabilité
Majoritairement élaborées dans des pays à revenu élevé, plus de 90 lignes directrices de pratique clinique sont disponibles pour aider les médecins prenant en charge des adultes atteints de troubles de l’humeur. Leurs principales limites, en ce qui concerne spécifiquement la DRT, tiennent, ici aussi, dans l’absence de définition consensuelle, et dans le fait qu’elles manquent de cohérence dans la sélection ou la hiérarchisation de leurs recommandations. En outre, elles varient dans la définition d’un schéma antidépresseur adéquat et confondent fréquemment le traitement de la DRT avec celui des populations non résistantes. Ainsi par exemple, les antipsychotiques de seconde génération (ASG), dont la plupart n’ont pas démontré d’efficacité dans la DRT, sont souvent recommandés pour cette condition en association avec des antidépresseurs, alors que leur base de preuves repose largement sur des populations définies comme répondeurs partiels.
Que proposer en cas de DRT suspectée – ou, mieux, avérée ?
Les preuves sont mitigées, en ce qui concerne la prolongation des essais d’antidépresseurs, la substitution médicamenteuse et la combinaison d’antidépresseurs.
Certains antipsychotiques de seconde génération (par ex. aripiprazole, brexpiprazole, cariprazine ou quétiapine XR) se sont révélés efficaces en traitement adjuvant aux antidépresseurs chez les répondants partiels, mais seule la combinaison olanzapine-fluoxétine a été étudiée dans la DRT telle que définie par la FDA.
Approuvée tant par l’EMA que par la FDA, l’eskétamine en spray nasal (co-administrée avec un antidépresseur) se montre efficace dans la prise en charge de la DRT. La kétamine l’est également, mais son administration doit se faire par voie intraveineuse, et elle n’est pas officiellement approuvée dans la DRT.
En dehors de la pharmacologie, la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (rTMS) est reconnue comme efficace et approuvée par la FDA dans la DRT, tout comme la stimulation par rafale thêta accélérée.
L’électroconvulsivothérapie est considérée comme une intervention efficace en phase aiguë et en entretien dans la DRT, des données préliminaires suggérant une non-infériorité par rapport à la kétamine IV en phase aiguë.
Utilisée isolément, la psychothérapie n’a pas démontré son efficacité dans la DRT, mais elle offre bien un soulagement symptomatique significatif lorsqu’elle est ajoutée aux antidépresseurs conventionnels.
Une autre piste non pharmacologique tient dans l’activité physique suffisamment soutenue, comme le sport. Le bénéfice à en retirer est potentiellement réel, mais ce type d’intervention est souvent difficile à mettre en place chez des personnes à l’élan vital altéré, sans oublier celles qui comptent des limitations physiques parmi leurs comorbidités.
Enfin, diverses thérapies numériques à l’étude (programmes de soutien en ligne, notamment) représentent une perspective prometteuse pour cette population – mais avec toutes les réserves désormais d’usage en ce qui concerne l’utilisation de l’IA comme coach, et un risque d’aggravation voire de suicide restant à préciser.