JM Academy / Santé environnementale
Les soignants face à la résilience climatique
Quelles sont les conséquences sanitaires des événements climatiques extrêmes, et quelles sont les perspectives d’adaptation systémique ?
Depuis la révolution industrielle, la Terre se réchauffe rapidement. « Le problème réside dans la temporalité de ce changement. On prévoit une augmentation de la température de la surface d’1°C en moyenne tous les 30 ans, pour arriver, dans le pire des scénarios, à un réchauffement de 4° à 5°C à la fin du siècle », précise le Dr Édouard Hosten, membre du groupe santé des Shifters Belgium.
« Ce réchauffement climatique s’explique par le phénomène d’effet de serre. L’effet de serre est un phénomène naturel sans lequel il n’y aurait pas de vie sur Terre, mais l’augmentation soudaine de la concentration des gaz à effet de serre (GES : dioxyde de carbone, méthane, …) dans l’atmosphère terrestre du fait de l’activité humaine est sans précédent, et induira une modification majeure du climat dans les décennies à venir. »
Il faut en outre garder à l’esprit que le changement climatique s’intègre dans une problématique plus complexe de dépassement d’autres frontières planétaires (intégrité de la biosphère, acidification des océans, changement de l’utilisation des sols…).
Quels sont les impacts sanitaires du changement climatique ?
Le changement climatique impactera la santé humaine via deux éléments : ses conséquences directes (feux de forêts, inondations, canicules), dont la fréquence et l’intensité vont augmenter, et ses conséquences indirectes, nombreuses mais moins visibles : modification de l’écologie des vecteurs infectieux, pollution de l'air, altération de la qualité de l'eau, conflits, migrations…
« Pour mieux comprendre ces impacts sanitaires », ajoute-t-il, « il faut se focaliser sur la notion de risque, qui est articulée autour de trois concepts : les aléas, la vulnérabilité et l'exposition. La fréquence et la sévérité des aléas liés au changement climatique vont augmenter dans les années à venir. Par exemple, si on arrive à un réchauffement de 4° en 2100, les épisodes caniculaires seront 40 fois plus fréquents et jusqu’à 5° plus chauds que durant la période 1850-1900. L’exposition des populations à ces aléas est également amenée à augmenter, du fait de la croissance de la population mais aussi du développement croissant d’îlots de chaleur urbains dans le cas des canicules, par exemple. Enfin, il convient de prendre en compte les vulnérabilités des individus, des populations et des systèmes de santé qui dépendent de nombreux facteurs (âge, comorbidités, statut socio-économique…). »
Qu’ils soient liés aux conséquences directes ou indirectes du changement climatique, les impacts sur la santé seront nombreux : traumatismes, déshydratation, coups de chaleur, incidence accrue de pathologies respiratoires, cardiovasculaires et infectieuses, impacts sur la santé mentale, malnutrition, maladies transmises par l’eau et les aliments. Il faut aussi s’attendre à ce que le changement climatique impacte l’accès aux soins.
Que peuvent faire les soignants ?
« Il y a deux faces complémentaires », répond le Dr Hosten. « La première est de penser notre adaptation face au changement climatique afin d’améliorer la prise en charge de la population. La seconde, c’est de s’interroger sur notre part de responsabilité dans ce problème. »
S’adapter au changement climatique fait appel au concept de résilience, poursuit-il : « La résilience climatique est au cœur des publications de l’OMS. L’objectif à court terme est d’accroître la résilience climatique des systèmes et des établissements de santé afin de protéger et d'améliorer la santé des communautés dans un climat instable et changeant. Elle veut guider les professionnels de soins de santé pour qu'ils comprennent les risques sanitaires supplémentaires posés par le changement climatique et s'y préparent efficacement. »
En tant qu’institutions de soins, il faut par exemple se poser la question de la préparation du personnel, de l’adaptation des infrastructures, de la sécurisation de l’accès à l’eau et à l’énergie…
« Pour les médecins traitants, l'idée est d'essayer d'intégrer cette notion de résilience dans leurs pratique, cabinet, maison médicale. » Il faut créer des formations qui conscientisent les praticiens aux risques climatiques qu’ils pourraient rencontrer dans leur région et à la façon d’identifier les patients les plus vulnérables pendant les crises.
« Depuis peu, on a un nouveau plan national d'action environnement-santé, le NEHAP 3 (2023-2029). Il contient un volet adaptation, mais identifie également la problématique de la limitation des émissions de gaz à effet de serre par le secteur de la santé. »
On sait par exemple que les inhalateurs de poudre sèche sont nettement moins émissifs que leurs équivalents aérosol-doseurs sous pression.
Soignants émetteurs de GES
« Dans quelle mesure est-on responsable en tant que médecin de cette problématique? », s’interroge le Dr Hosten. « Le système de santé repose sur l'utilisation intensive d'outils industriels, ce qui induit une empreinte carbone. Si l’on veut réduire cette empreinte, le premier pas consiste à compter ses émissions de GES. À l'échelle globale, le secteur de la santé émet un peu moins de 3 Gt de CO2 par an, ce qui représente environ 5% des émissions mondiales. Il nous faut également déterminer quelles sont nos sources d’émission en réalisant un bilan carbone qui comptabilise les émissions directes et indirectes issues de notre chaîne d'approvisionnement. »
Comment réduire les émissions de GES?
« Il est urgent de diminuer les GES. Quel que soit notre objectif, au plus vite on commence, au moins l'effort devra être important. Il faut par ailleurs réaliser qu’il est très difficile de diminuer nos émissions de GES parce qu’elles sont intimement liées à notre modèle économique. La dernière fois qu’on a diminué nos émissions de 5% (la réduction à atteindre annuellement si l’on veut respecter l’accord de Paris), c'est pendant la pandémie. Il nous faut donc un plan », constate le Dr Hosten.
Le Shift Project propose un plan de diminution des GES par le secteur de la santé. Les médicaments et dispositifs médicaux représentent 50% de l’empreinte carbone du secteur des soins. « Afin de réduire notre empreinte tout en assurant notre souveraineté, il convient selon nous de favoriser la relocalisation de la production de molécules essentielles en Europe. En termes de pratiques de prescription, il convient de diminuer le recours aux médicaments en évitant les prescriptions inutiles et le gaspillage, et en envisageant de prendre en compte l’empreinte carbone d’un médicament dans sa prescription, lorsque celui-ci a la même efficacité qu’un équivalent plus émissif. »
« La première idée, c'est de faire notre boulot correctement et de réduire toutes les prescriptions inutiles, que ce soit d’antibiotiques, d’antidépresseurs ou d’IPP. La deuxième piste de solution, c'est d’essayer de substituer : existe-t-il une alternative moins émissible ? C’est ici qu’intervient le concept d’analyse de cycle de vie (ACV) d’un produit. Il permet d'analyser l'empreinte carbone en partant de l'extraction des matières premières jusqu'à la fin de vie du produit. Des études commencent à paraître sur des analyses du cycle de vie des médicaments, mais elles sont malheureusement encore rares. On sait par exemple que les inhalateurs de poudre sèche sont nettement moins émissifs que leurs équivalents aérosol-doseurs sous pression. Autres exemples, l'empreinte carbone des éléments jetables est généralement nettement supérieure aux objets réutilisables, tandis que l’empreinte carbone du paracétamol per os est inférieure à celle des formes IV. Vous l’aurez compris, il convient de se renseigner sur l’empreinte carbone des produits que l’on prescrit et de pousser l’industrie pharmaceutique à rendre accessibles les ACVs de leurs produits. »
Miser aussi sur la prévention
Les pistes de réduction des émissions liées au secteur de la santé sont nombreuses : isoler nos hôpitaux, mieux prescrire, décarboner au maximum les processus de productions, repenser l’alimentation et la mobilité… Il faudra néanmoins, selon les projections du Shift Project, également diminuer la demande en soins de santé si l’on désire arriver à l’objectif d’une réduction de 80% de l’empreinte carbone dans le secteur des soins. « Cela doit passer par l’éducation à la santé et les politiques de prévention. »
Les impacts sanitaires néfastes du changement climatique seront nombreux et protéiformes. Selon le Dr Hosten, « penser une action commune, fondée sur la science, est la seule alternative pour faire face efficacement aux menaces futures. Elle est également la seule solution face à la détresse qui étreint parfois ceux conscients du péril. »
Notes
Exposé donné lors des 58e Journées de l’AMUB
Rapport GIEC
Shift Project, Décarboner la santé pour soigner durablement 2023
Louvain Medical janvier 2024
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- Les origines et la chronologie du changement climatique.
- Les trois facteurs qui déterminent l’impact sanitaire du changement climatique.
- Les pistes potentielles pour réduire les émissions de gaz à effet de serre issues des soins de santé.
- Le rôle de l’éducation et des politiques de prévention pour réduire la demande de soins, limitant ainsi l’impact de ceux-ci sur le climat.
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