Étude des Mutualités libres
Le phénomène des jeunes travailleurs en incapacité de travail s'accentue
Les 18-34 ans entrent de plus en plus souvent en incapacité de travail pour cause de troubles psychosociaux, une tendance qui s’accentue chaque année selon une analyse des Mutualités Libres (Partenamut). L’étude, basée sur les données de 2,3 millions de membres, met en lumière une tendance générationnelle. Les Mutualités Libres donnent des pistes d'action.
Santé mentale fragilisée dès le début de carrière
39% des nouvelles incapacités de travail chez les 18-34 ans étaient liées, l'an dernier, à des troubles de type psycho-social (burn out, dépression, stress ou anxiété), contre 30% chez les travailleurs plus âgés. Cette part, parmi les jeunes, a progressé de près de 35% depuis 2018, contre 20% chez leurs aînés. Les troubles musculosquelettiques, eux, n’augmentent que modérément.
Les diagnostics de burn-out et dépression représentent désormais à eux seuls un quart des nouveaux cas d’incapacité de travail chez les moins de 35 ans, soit une proportion en augmentation de 40% par rapport à 2018. L’évolution de ces deux diagnostics est sans appel :
- Le burn out chez les jeunes augmente de 136% entre 2018 et 2024, contre +78% chez les plus de 34 ans.
- La dépression augmente de 36% chez les jeunes, contre 6% chez les plus âgés.
L'augmentation touche autant les femmes que les hommes, mais se manifeste différemment : burn out chez les hommes, dépressions, stress et troubles anxieux chez les femmes.
Les employés davantage touchés
La tendance générationnelle est claire : les jeunes travailleurs sont plus touchés par des problèmes psychosociaux que leurs aînés, et l'écart se creuse. C'est valable pour les différents statuts professionnels, mais les employés sont nettement plus concernés: l'an dernier, près de 45% des jeunes employés entrant en incapacité de travail souffraient de troubles psychosociaux, contre 25% chez les jeunes ouvriers et indépendants.
Chez les personnes fragilisées socio-économiquement, la hausse des troubles psychosociaux affecte toutes les tranches d’âge.
Risque croissant d’invalidité
Une incapacité de travail sur sept (14%) chez les jeunes évolue vers l’invalidité (+ d'un an). Un risque encore plus marqué en cas troubles psychosociaux:
- 22 % des jeunes en incapacité pour dépression, troubles anxieux ou stress basculent en invalidité
- 18 % en cas de burn-out.
À titre de comparaison, les troubles musculosquelettiques présentent un risque d’évolution vers l’invalidité de 14% (comparable à la moyenne de l’ensemble des diagnostics).
“Là où l’incapacité de travail concernait autrefois les travailleurs plus âgés pour des motifs physiques, elle touche aujourd’hui massivement les jeunes pour des raisons psychologiques.”
- Thomas Otte, expert aux Mutualités Libres.
Comment expliquer cette vulnérabilité?
- Déterminants de santé mentale fragilisés : recul du soutien social, précarité socio-économique, affaiblissement des compétences psychosociales, moindre accès à des environnements publics favorables. Leur dégradation accroît fortement la vulnérabilité psychologique.
- Transition professionnelle sous tension : passage études-emploi instable, attentes professionnelles souvent déçues, isolement accru par télétravail/flexdesk, déficit de relations de qualité et de reconnaissance au travail.
- Hyperconnectivité délétère : surcharge cognitive, fatigue numérique, troubles du sommeil ; réseaux sociaux associés à stress, anxiété, réduction des interactions réelles et sédentarité. Effets aggravés par une exposition précoce.
- Perception d’un avenir incertain : climat anxiogène (crises climatiques, géopolitiques, socio-économiques), pression de performance, polarisation sociale, flux de contenus anxiogènes renforçant le sentiment d’insécurité chez les jeunes.
Les recommandations des Mutualités Libres pour enrayer le phénomène:
Au niveau gouvernance:
- Déployer un plan interfédéral de promotion de la santé mentale.
- Intégrer systématiquement l’approche Mental Health in All Policies dans les décisions publiques.
- Mettre en place des trajets de soins coordonnés pour burn out et dépression, incluant soignants et employeurs.
Les interventions prioritaires dans le monde du travail:
- Encadrer les environnements hybrides pour préserver les liens sociaux et la qualité des interactions.
- Former les employeurs aux enjeux de santé mentale et instaurer un label valorisant les entreprises actives en prévention.
- Renforcer l’intégration professionnelle des jeunes via mentorat, feedback structuré et espaces de socialisation.
- Favoriser un équilibre durable entre vie privée et vie professionnelle.
Renforcement de la résilience et de la cohésion sociale:
- Introduire la littératie en santé mentale dès l’école, en impliquant les familles.
- Soutenir les initiatives sportives, culturelles et communautaires pour consolider les liens sociaux.
- Encadrer les usages numériques : campagnes de prévention, âge d’accès plus tardif aux écrans et réseaux sociaux, promotion de plateformes responsables, création de zones sans écran dans les espaces fréquentés par les jeunes.