« Le maître de stage doit être un vrai formateur »
Philippe Rouard, diplômé en histoire et en relations internationales – ni médecin, ni professeur-, « parachuté » il y a fort longtemps « Monsieur formation en médecine », propose une analyse de la situation complexe des maîtres de stage dans la formation médicale en Belgique. Il retrace l'évolution des législations depuis 1983 pour illustrer l'instauration d'une séparation problématique entre la législation sur l'enseignement et celle régissant le droit du travail. Pour lui, le maître de stage ne peut se contenter d’organiser le travail du médecin en formation mais doit le former réellement.
Que d’eau a coulé sous les ponts ! Encore en 1983, rappelle Philippe Rouard, c’est le maître de stage qui rémunèrait le médecin en formation. Il faut attendre 1999 et l’arrêté Colla (du nom du ministre socialiste flamand de la Santé publique – Magda De Galan (PS) occupant le maroquin des Affaires sociales en binôme) pour vivre de « grands bouleversements ». « L’arrêté a la particularité de mélanger plusieurs dimensions dans un même texte - la formation, les critères de formation, la législation sur le travail, ainsi que les critères d’agrément. Je tiens à dire que tout ce qui existe aujourd’hui n’est, en réalité, qu’une déclinaison de ce qui existait en 1999. Rien de ce qui est en vigueur aujourd’hui n’est fondamentalement neuf. »
Il égrène ensuite le déroulé des législations ultérieures :
2010 : la fameuse loi qui limite le temps de travail de l’assistant dans le cadre d’une relation de travail, en parlant d’un « employeur ».
2014 : arrêté ministériel sur les critères généraux d’agrément, qui reprend les principes de 1999, mais abroge complètement l’arrêté Colla de 1999.
2017 : suite à la fédéralisation des compétences, notamment en matière d’enseignement supérieur et de formation médicale, on adopte un texte à caractère plus administratif sur l’organisation des commissions d’agrément.
2021-2023-2024 : commissions paritaires qui établissent un statut minimum pour le médecin en formation.
« Barrière infranchissable »
Philippe Rouard regrette que la scission enseignement/droit du travail ait conduit à privilégier la relation d'emploi, reléguant la dimension pédagogique et la mission de formation du maître de stage au second plan. Il insiste sur le fait que l'arrêté ministériel de 2014 constitue le véritable cahier des charges du maître de stage, l'obligeant à fournir les mêmes moyens à tous les assistants pour acquérir leurs compétences. Toutefois, certains maîtres de stage agissent davantage comme de simples organisateurs de travail plutôt que comme de véritables dispensateurs de formation.
« On a érigé un mur quasiment infranchissable, entre une législation qui parle de travail et une législation qui parle d’enseignement. C’est là que se situe, selon moi, la problématique centrale de la position du maître de stage. Nous avons développé une sorte d’obsession à parler d’abord du travail. Cela tient, entre autres, à la hiérarchie des normes. On va brandir comme des "tables de la loi" le texte de 2010, en expliquant que l’assistant travaillera beaucoup, assumera des gardes seul, et que c’est "comme cela" qu’il sera formé. »
En filigranes de la loi de 2010, la commission paritaire qui y est inscrite laisse finalement peu de place au maître de stage. « La convention-type précise bien que le médecin en formation est sous la responsabilité du maître de stage, mais, dans les faits, le maître de stage n’apparaît que comme un chapitre dans un ensemble relationnel, avec quelques critères qu’il est censé suivre. »
Peu de place pour la formation
Autrement dit, il y a très peu de place pour la formation dans un texte qui privilégie systématiquement la relation de travail et qui définit avant tout l’employeur. « À tel point que certaines directions d’hôpitaux usurpent les compétences attribuées au maître de stage. On voit ainsi disparaître des formulations essentielles pour bien marquer que la direction et l’institution n’ont pas à s’immiscer dans la définition des activités de formation, mais que leur rôle d’employeur se limite à veiller au respect de la loi sur le temps de travail et du statut social. »
En particulier, la commission paritaire estime que le stagiaire dispose à sa guise de son « temps scientifique » alors que l’arrêté de 2014 pose que le maître de stage définit ce qu’est le « temps scientifique ». Autre écueil : les critères de financement de la maîtrise de stage ne sont pas basés sur la qualité du stage ni sur la qualité de l’enseignement délivré par le maître de stage. « D’ailleurs, la plupart des nouveaux maîtres de stage ignorent l’existence même de l’arrêté ministériel de 2014, alors qu’il constitue leur cahier des charges. » C’est ce qui explique que le maître de stage organise le travail davantage qu’il dispense une formation alors que l’esprit de l’arrêté de 2014 est de donner à tous les assistants qui lui sont confiés les mêmes moyens pour acquérir et développer leurs compétences en vue de l’agrément.
« On n’a pas encore limité le nombre de candidats spécialistes par maître de stage coordinateur. »
La responsabilité de la formation des spécialistes repose sur le maître de stage coordinateur. Il assure quelque part la continuité et l’homogénéité de la formation. « Ce rôle n’est probablement pas rempli de façon optimale pour différentes raisons », pointe Philippe Rouard. « L’une des raisons, c’est qu’on n’a pas limité le nombre de candidats spécialistes par maître de stage coordinateur. Il peut donc en avoir un tel nombre qu’il lui est techniquement impossible de réaliser correctement sa mission. »
Mais cela va changer. Le Conseil supérieur des médecins spécialistes a fait référence appuyée à l’équipe de stage, plus encore qu’au seul maître de stage. « Ce n’est pas le maître de stage seul qui, en plus de ses charges administratives, de ses charges d’enseignement et de ses charges cliniques, peut assumer toute la formation. C’est l’équipe de stage qui doit être très clairement définie, y compris en ce qui concerne la formation des membres de cette équipe. » Et l’exigence pédagogique est renforcée.
Le ministre Vandenbroucke a déposé une nouvelle réglementation, tellement exigeante quant à la formation qu’elle paraît utopique. « Qui mettra les moyens nécessaires ? Les directions hospitalières ? Le ministre fédéral de la Santé ? Le ministre de la Santé au niveau communautaire ? Il est indispensable de réfléchir à la manière de financer concrètement cette formation de qualité. »
Il faut que toutes les personnes en contact avec l’assistant aient conscience de leur rôle de transmission, et pas seulement de leur rôle d’employeur qui "fait travailler". C’est une question de culture.
Mais le temps consacré à la formation (le temps d’enseignement) doit être financé suffisamment. Comme il s’agit d’enseignement, ce temps devrait logiquement être financé par les responsables en charge de l’enseignement, soit les Communautés. Mais en leur sein – surtout côté FWB – l’argent manque. « Le passage de la formation de base de sept à six ans d’études a supprimé l’équivalent d’une année de financement dans la formation. Il faut donc revoir le financement global de la formation spécialisée, qui reste du deuxième cycle. »