
Maisons de santé : elles soignent mieux, mais pas plus
Une vaste étude franco-belge avec le concours du Dulbea-ULB révèle que les "maisons de santé pluriprofessionnelles" (sorte de maisons médicales à la française) n’augmentent pas la disponibilité des généralistes, mais renforcent la qualité des soins via le numérique. Elles ne sont donc pas forcément une solution contre les déserts médicaux.
Avec une démographie médicale en berne semblable à la Belgique, la France a misé sur un modèle organisationnel présenté comme la solution miracle : les maisons de santé pluriprofessionnelles (MGP) qui se rapprochent de nos maisons médicales. Dans ces structures, médecins et paramédicaux travaillent sous un même toit pour assurer un suivi coordonné, notamment dans les zones dites en pénurie.
Tiennent-elles leurs promesses ? C’est la question que s’est posée une équipe de chercheurs franco-belge (DULBEA/Université libre de Bruxelles, ORS PACA, Aix-Marseille Université) dans une étude publiée récemment dans la revue Health Services Insights sous le patronnage de SageJournals. En s’appuyant sur une modélisation statistique qu’on imagine rigoureuse, ces chercheurs ont analysé les réponses de 1.209 médecins généralistes libéraux recueillies, il y a un certain nombre d’années déjà, entre 2018 et 2020. L’objectif : comprendre si le fait d’exercer dans une MGP permet de compenser les effets négatifs de la baisse de densité médicale locale, en quantité comme en qualité.
Verdict quelque peu chèvre-choutiste : les MGP ne permettent pas d’absorber plus de patients, mais elles favorisent des pratiques de prévention plus régulières, notamment en matière de vaccination, grâce à un meilleur usage des outils numériques.
Moins de médecins, plus de stress, moins de soins
La première observation n’appelle aucune contradiction : plus la densité médicale est faible, plus le stress monte chez les médecins restants sur le marché, et plus leur capacité à accepter de nouveaux patients diminue. Près d’un praticien sur deux dans les zones en forte pénurie déclare devoir allonger ses délais de rendez-vous ou refuser certains patients.
Ce stress professionnel conduit à réduire les consultations, à couper dans les temps de formation, et à ressentir une perte de contrôle sur l’agenda professionnel. Cercle vicieux qui alourdit la pénurie.
Pas de changement en volume
Mais que changent les maisons de santé dans ce tableau ? Pas grand-chose, en réalité, si l’on parle de volume. L’étude montre que, une fois le stress et d’autres variables prises en compte, les médecins exerçant en MGP n’ont pas une capacité significativement plus élevée à absorber la demande. Autrement dit, être dans une structure collective ne permet pas, en soi, de consulter davantage.
La raison est simple : certaines MGP ne sont que des regroupements administratifs, sans véritable délégation de tâches. D'autres n’intègrent qu’un nombre limité de professionnels paramédicaux. Il existe donc une grande hétérogénéité dans la mise en œuvre de l’intégration professionnelle. Et contrairement à d’autres pays comme les Pays-Bas ou le Canada, la France n’impose pas de délégation formelle de tâches dans ces structures. Résultat : les effets bénéfiques sur la quantité de soins restent limités, voire inexistants.
Meilleure qualité
La qualité, elle, s’améliore grâce au numérique. Le principal point fort des MGP, en effet, réside dans leur capacité à favoriser l’usage d’outils de e-santé, qui eux-mêmes ont un effet positif sur la qualité des soins. Les médecins en MGP utilisent plus souvent des dossiers médicaux électroniques, des logiciels d’e-prescription ou encore des messageries sécurisées. Ces outils permettent, par exemple, d’identifier les patients en retard de vaccination et d’automatiser les rappels.
Dès lors, ces médecins recommandent plus fréquemment les vaccins prioritaires, comme ceux contre le méningocoque C, le HPV, la grippe ou l’hépatite B. Plus l’usage du numérique est poussé, plus la prévention est rigoureuse.
Notons que l’étude confirme aussi d’autres facteurs connus : les médecins femmes recommandent plus systématiquement les vaccins que leurs homologues masculins, tandis que ceux qui pratiquent les médecines complémentaires sont un peu plus réticents. Le stress et la charge de travail jouent également un rôle dans la qualité du suivi.
En définitive, la MGP ne soigne pas plus, mais elle soigne mieux. Les auteurs de l’étude en tirent plusieurs leçons. D’abord, les MGP ne peuvent pas être vues comme un remède miracle à la désertification médicale. Elles n’améliorent pas significativement la quantité de soins. Pour cela, il faudrait aller plus loin : encourager la délégation verticale de tâches (notamment vers les infirmiers), imposer un minimum de services mutualisés, ou encore structurer le rôle des coordinateurs.
Références : https://doi.org/10.1177/11786329251331128