JM Academy / Infectiologie
Les maladies du voyageur : désormais, aussi, celles d’ici ?
Le Groupe médical Orval a réuni 130 généralistes de la région, fin mars dernier, pour son 23e colloque annuel [1]. Ce succès tenait notamment dans cinq modules répartis sur trois jours et qui comprenaient de nombreux exposés variés, dont celui de l’infectiologue Leïla Belkhir (UCLouvain) qui abordait la prévention et la prise en charge des maladies (dites) du voyageur.
En 1997, on comptabilisait, pour 1.000 Belges, environ 600 voyages à l’étranger avec au moins une nuitée sur place. En 2024, ce chiffre était multiplié par environ 2,5. La médecine dite du voyage (qui vise à protéger tant les hôtes et les communautés locales que les voyageurs) a donc le vent en poupe.
D’après la Pre Leïla Belkhir, les motifs principaux de consultation au retour d’un voyage sont la diarrhée (surtout après un séjour en Asie), la fièvre (surtout après un séjour en Afrique, avec une identification pas toujours obtenue de la cause exacte) et les problèmes cutanés (surtout après un séjour en Amérique Latine). Ces trois motifs caractérisent entre 80 et 90 % des consultations.
La polio, un risque persistant
Outre l’information à délivrer sur les risques liés au voyage dans un pays et les conditions déterminées (saison, ville ou milieu rural, hôtel luxueux ou sac à dos, malaria etc.), la prévention consistera avant tout dans la (re)mise à jour de l’état vaccinal de base, avec des rappels très souvent nécessaires. S’y ajoutent évidemment les vaccinations spécifiques en fonction du type de voyage et de la région visitée, dont les vaccins obligatoires dans certains pays (fièvre jaune, polio, méningocoque...).
La croissance pratiquement exponentielle du nombre de voyages entraîne une circulation accrue non seulement d’agents pathogènes mais également de leurs vecteurs (exemple bien connu du moustique tigre). D’autre part, le nombre également croissant de personnes mal, voire non vaccinées – cf. le mouvement antivax – favorise le risque d’épidémies de maladies ré-émergentes comme la rougeole aux États-Unis, sans oublier le changement climatique propice à l’extension géographique de certaines pathologies comme la dengue. « Ce qui était considéré comme des maladies quasi exclusivement tropicales il y a quelques années ne le sera probablement plus dans un avenir relativement proche », explique Leïla Belkhir. L’addition de ces facteurs conduit au concept de « One Health », qui intègre la santé tant animale et environnementale qu’humaine.
La vaccination contre la poliomyélite reste insuffisante dans plusieurs dizaines de pays, notamment par l’utilisation du vaccin vivant atténué (Sabin) qui, à l’inverse du vaccin par virus inactivé utilisé ailleurs, entraîne des cas occasionnels de polio. Une dose supplémentaire est donc recommandée pour tout voyageur séjournant plus de quatre semaines dans 25 pays actuellement, et elle est même obligatoire (carnet jaune de l’OMS, via un centre de vaccination) également pour les séjours de plus de quatre semaines en Afghanistan, en Chine, à Madagascar, au Pakistan ou au Yémen.
Maladies vectorielles : la malaria toujours en tête
Le moustique est de loin l’animal qui tue le plus d’êtres humains au monde, principalement par la malaria, mais également par la dengue et la fièvre jaune. Selon l’OMS, le monde a connu environ 263 millions de cas de paludisme en 2023, avec 597.000 décès (majoritairement d’enfants) provoqués par cette affection. Sa prévention passe par une bonne information, l’évitement des piqûres (vêtements adaptés, répulsifs comme le DEET, moustiquaire imprégnée, air conditionné et fenêtres fermées), et éventuellement une chimioprophylaxie (principalement la Malarone® ou la doxycycline).
Le moustique est de loin l’animal qui tue le plus d’êtres humains au monde, principalement par la malaria, mais également par la dengue et la fièvre jaune.
Jusqu’à preuve du contraire, toute fièvre au retour d’un pays tropical doit faire suspecter la malaria. Il faut également penser à ce diagnostic chez les Africains vivant principalement en Belgique, qui reviennent de leur pays d’origine avec de la fièvre et qui consultent tardivement, avec une malaria sévère mais imaginant que cela ne peut pas être dû à cette maladie car ils se croient relativement immunisés et n’ont donc pas pris de chimioprophylaxie : en fait, la protection est déjà perdue six mois après avoir quitté un pays où elle est endémique.
Fièvre jaune : une mortalité toujours élevée
Due à un flavivirus, la fièvre jaune se transmet par le moustique tigre, qui pique pendant la journée. Elle est endémique en Afrique et en Amérique du Sud. Sa durée d’incubation est courte (trois à six jours). Environ 80 % des infections sont asymptomatiques ou ne s’expriment que par un épisode fébrile pseudo-grippal, alors que sa létalité est comprise entre 20 et 60 % dans les cas symptomatiques.
Le vaccin (Stamaril®) est de type vivant atténué, ce qui le contrindique chez les immunodéprimés (et est donc à envisager avant l’intervention chez une personne qui nécessite une greffe). Son efficacité débute environ dix jours après son administration et la protection procurée est considérée comme acquise à vie, ne nécessitant une deuxième dose que dans des cas spécifiques comme les tout petits enfants et les femmes enceintes. À noter aussi que certains pays exigent du voyageur qu’il soit vacciné s’il a transité pendant plus de 12 heures dans un pays où le flavivirus circule.
L’encéphalite japonaise avance vers l’ouest
La Belgique commence à être confrontée à des cas d’encéphalite japonaise, une infection virale transmise par un moustique du genre Culex (comme notre moustique commun), et qui pique la nuit. Actuellement, cette maladie ne touche que quelques pays d’Asie. La durée habituelle d’incubation est comprise entre 5 et 15 jours. La grande majorité des cas sont asymptomatiques mais, en cas de symptômes, le taux de mortalité est d’environ 25 %. Un vaccin existe (Ixiaro®), à administrer aux personnes qui comptent vivre au moins trois à quatre semaines en zone rurale endémique. Deux doses initiales sont nécessaires.
Une encéphalite que risquent surtout les (grands) randonneurs
L’encéphalite à tiques est de plus en plus fréquente. La vaccination était auparavant conseillée principalement aux personnes voyageant en Europe de l’Est, mais cette autre maladie à flavivirus s’étend désormais de l’Europe de l’Ouest à la côte est du Japon. Transmise par une morsure de tique ou par la consommation de lait non pasteurisé, elle présente un caractère saisonnier (du printemps à l’automne) et frappe environ 3.000 personnes chaque année en Europe. La durée d’incubation est comprise entre 4 et 28 jours après la morsure de tique.
L’infection symptomatique (environ un tiers des cas) se développe typiquement en deux phases. La première (deux à dix jours) se caractérise par des symptômes non spécifiques tels que la fièvre, la fatigue et les céphalées, tandis que la deuxième prend une forme neurologique (de la méningite légère à l’encéphalite sévère), avec un taux de mortalité compris entre 0,5 et 2 %. Le diagnostic est établi par la sérologie et la PCR. Un vaccin existe (FSE-Immun®, deux doses initiales), mais le nombre de cas autochtones est trop faible en Belgique pour conseiller la vaccination. Il en va tout autrement pour les personnes qui s’adonnent à la randonnée, par exemple dans certaines régions de France, en Suisse ou en Europe de l’Est.
La dengue en voie de généralisation
Près de quatre milliards de personnes sont à risque de dengue, qui concerne plus de 130 pays. On estime que d’ici quelques années, avec le changement climatique, environ 400 millions de personnes seront infectées chaque année. 25 % des cas sont symptomatiques, dont 1 sur 20 prendra une forme sévère. La deuxième infection est la plus dangereuse, avec une activation marquée du système immunitaire, une thrombopénie importante et des conséquences possibles comme la fièvre hémorragique. On estime que plus de 20.000 personnes (principalement des enfants) en mourront chaque année.
Actuellement, la Belgique recense des patients revenant de Guadeloupe, et des cas autochtones ont été dénombrés dès 2023 en France et en Italie notamment. Basé sur le sérotype 2 du virus, le vaccin disponible en Belgique (Qdenga®) est de type vivant chimérique tétravalent et s’administre à raison de deux doses espacées de trois mois. Il diminue d’environ 84 % le risque d’hospitalisation et son efficacité se montre meilleure chez les personnes ayant déjà été infectées. La Belgique le conseille actuellement dans les zones endémiques.
1. La prochaine édition du colloque se déroulera du 20 au 22 avril 2026. Contact : docmarcheyde@gmail.com
Les vaccinations qui peuvent protéger à vie
Dans l’état actuel des connaissances, la protection à vie est assurée lorsque le schéma vaccinal est complet pour :
- La polio, lorsqu’un rappel est effectué après l’âge de 16 ans (sauf pour certains pays, cf. plus haut) ;
- L’hépatite B, lorsque le taux d’anticorps est supérieur à 10 UI/ml (100 UI/ml si immunosuppression) ;
- L’hépatite A ;
- La rougeole, la rubéole et les oreillons lorsqu’au moins deux doses ont été administrées ;
- La fièvre jaune, hors certains cas spécifiques.
Objectifs d’apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- Les principales raisons pour lesquelles les voyageurs consultent un médecin à leur retour ;
- Le risque croissant de certaines épidémies et maladies considérées jusqu'à présent comme « tropicales » ;
- L'épidémiologie, la période d'incubation, la prévention et la prise en charge d'un certain nombre de maladies du voyageur, notamment le paludisme, la dengue, la fièvre jaune et l'encéphalite à tiques ;
- Quelques vaccinations qui protègent à vie.
JM Academy
Cliquez ici pour répondre au questionnaire et obtenir un point d'accréditation.