Captages d’eau, écoles, agriculteurs
La Wallonie veut durcir ses règles sur les pesticides
La Commission santé du Parlement wallon a fait sa rentrée. Au menu, plusieurs sujets intéressants, dont une question conjointe sur les pesticides. Le ministre wallon de la Santé Yves Coppieters a reconnu leur impact avéré sur la santé publique et annoncé un renforcement des mesures de protection, dans un contexte de forte pression citoyenne et scientifique.
Le débat sur les pesticides progresse au Parlement wallon. Depuis le mois de juin, diverses auditions ont nourri une prise de conscience politique (lire notre dossier à ce sujet). « Les cancers, les maladies neurodégénératives, les maladies chroniques… Il n’y a plus de doute possible », déclarait déjà Yves Coppieters, cet été, dans L’Avenir. Les parlementaires ont souligné que ces auditions avaient confirmé cette réalité, en croisant données épidémiologiques et études de toxicologie.
Le biomonitoring humain réalisé en Wallonie illustre cette imprégnation généralisée. Selon les résultats, plus de 90 % des enfants et adolescents testés présentent des traces de pesticides de synthèse dans leur organisme. Pour certaines substances, la proportion atteint 99 % chez les enfants et 94 % chez les adultes. Ces chiffres, régulièrement cités au Parlement, donnent une ampleur clinique aux inquiétudes exprimées par les associations de santé environnementale.
Pour plusieurs députées, le principe de précaution doit désormais guider toute décision publique. « Il n’y a plus de débat scientifique sur les impacts sanitaires, il reste un débat politique sur le rythme et l’ampleur des mesures à prendre », résume Céline Tellier (Ecolo).
Protection de l’eau et des zones sensibles
La qualité de l’eau a constitué l’un des points centraux de l’interpellation. L’ancienne ministre de l’Environnement a insisté sur les contaminations récentes constatées dans des captages wallons, rappelant qu’elles se traduisent par un surcoût direct pour les consommateurs via la facture d’eau potable. Céline Tellier a plaidé pour une « réelle protection des captages », rappelant que l’enjeu est à la fois sanitaire et économique.
Le ministre Coppieters a confirmé la préparation d’un nouvel arrêté gouvernemental prévoyant l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques dans les zones de prévention de captage. Il a toutefois reconnu que les mesures initialement envisagées restaient insuffisantes pour assurer une protection complète.
La protection des populations vulnérables a également été débattue. L’arrêté en vigueur prévoit aujourd’hui une zone tampon de 50 mètres autour des écoles, crèches et milieux d’accueil, mais uniquement durant leurs heures d’ouverture. « Cela n’a aucun sens », a tranché le ministre, annonçant que la protection serait étendue à toute la journée. Plusieurs députées ont toutefois demandé d’aller plus loin, en incluant également les habitations privées situées à proximité des champs traités.
Le couvert végétal permanent instauré depuis 2021 le long des cours d’eau a, lui, reçu un bilan globalement positif. La mesure est jugée efficace pour limiter la dérive des pesticides et l’excès de nitrates. Mais les premiers contrôles révèlent encore des manquements : sur 86 parcelles inspectées en 2022, 55 étaient en infraction.
« Les enfants ne cessent pas d’être une population sensible lorsqu’ils quittent l’école pour jouer dans leur jardin » - Céline Tellier, Ecolo
Les publics vulnérables en première ligne
Au-delà de la protection des captages, Céline Tellier, Valérie Dejardin (PS) et Marie Jacqmin (Les Engagés) ont insisté sur l’exposition directe des populations les plus fragiles. Les enfants sont particulièrement concernés : le biomonitoring révèle non seulement leur imprégnation quasi systématique par des résidus de pesticides, mais aussi une vulnérabilité accrue en raison de leur développement physiologique. « Les enfants ne cessent pas d’être une population sensible lorsqu’ils quittent l’école pour jouer dans leur jardin », a souligné Céline Tellier, appelant à élargir la protection au-delà des seuls établissements scolaires.
Le ministre Coppieters a confirmé que les nouvelles dispositions viseraient en priorité ces publics vulnérables, en élargissant les bandes de protection et en interdisant certains produits aux jardiniers amateurs. L’interdiction annoncée concerne notamment quatre substances de la famille des PFAS et l’acétamipride, un insecticide jugé problématique par le Conseil constitutionnel français. Les mesures restent toutefois trop limitées estime notamment Céline Tellier, qui plaide pour une interdiction plus large, estimant que le faible usage actuel de ces produits en agriculture constitue « le bon moment pour avancer » avant une généralisation.
Les agriculteurs constituent un autre groupe particulièrement exposé. Le ministre a rappelé que l’étude en cours vise à mesurer leur imprégnation spécifique aux pesticides. Un premier échantillon de 52 agriculteurs et 34 témoins a déjà été constitué, avec des prélèvements en période de traitements et hors traitements. Les résultats, encore partiels, devraient permettre de mieux quantifier les risques sanitaires liés à l’exposition professionnelle et d’adapter les mesures de prévention.
Une transition agricole encore fragile
La question de l’accompagnement du secteur agricole a traversé tout le débat. Plusieurs députées ont insisté sur la nécessité de soutenir concrètement les agriculteurs pour qu’ils puissent réduire l’usage des pesticides sans compromettre leur viabilité économique.
Le projet Terraé, lancé lors de la précédente législature, a été cité comme un levier utile : il a permis d’accompagner environ 400 exploitations dans des démarches agroécologiques, de financer des conseillers indépendants et de tester des alternatives sur le terrain. Bien que ce programme relève désormais d’une autre ministre, Yves Coppieters a confirmé que son expérience « inspire » les réflexions en cours pour structurer la transition.
La fragilité du financement des structures d’encadrement a également été pointée. L’ASBL GREENOTEC, active dans la conservation des sols, a été évoquée comme menacée faute de moyens suffisants. Le ministre a assuré qu’une revalorisation de sa subvention était en cours afin de pérenniser son action. D’autres organismes, comme Protect’eau, continuent pour leur part à jouer un rôle clé dans la sensibilisation et l’accompagnement des agriculteurs sur le terrain.
C’est tout l’enjeu d’un équilibre entre objectifs de santé publique et réalités économiques. « Il est possible et nécessaire de concilier la protection de la santé, le respect de l’environnement et la préservation des activités agricoles », conclut Véronique Durenne (MR).