Yannis-Léon Backhouche : “Ce n’est pas le moment de réclamer des coupes dans les hôpitaux”
Trop de ministres, trop de coupes, trop de paperasse : Yannis-Léon Backhouche, médecin et élu MR à Saint-Gilles, tire la sonnette d’alarme. Se situant au cœur du dossier de fusion des hôpitaux bruxellois, il plaide pour une réforme pragmatique, fondée sur la rationalisation, la flexibilité du personnel et la défense d’une médecine libérale.
Les économies réclamées au secteur hospitalier étaient très importantes. En tant que médecin et membre du MR, estimez-vous ces coupes justifiées ?
Je ne le pense pas. Vu la situation financière des hôpitaux bruxellois, ce n’est clairement pas le moment de leur demander des réductions drastiques. J’ai désormais une fonction qui m’amène à accompagner la fusion des hôpitaux bruxellois pour le CPAS de Bruxelles, et je suis en contact direct avec des institutions comme Bracops ou Molière. Ce que je constate, c’est qu’elles sont déjà au bord de l’asphyxie.
Je conçois qu’il faille une meilleure organisation du budget fédéral, mais exiger des économies massives - 150 millions d’euros dont 50 millions sur les hôpitaux -, c’est difficilement tenable. On doit plutôt aller vers une rationalisation : mutualiser les achats, les laboratoires, les systèmes informatiques (DPI), rechercher des gains d’efficience. Mais pas imposer des coupes qui mettraient les établissements à genoux.
« Là où je pense qu’il y a de vraies économies à faire, c’est au niveau des mutuelles. »
Et du côté des médecins spécialistes ? Ils estiment que les réformes sur les suppléments d’honoraires et la nomenclature les fragilisent alors qu'une réforme est en cours…
Je comprends leur réaction. Je suis favorable à une réforme du financement, mais pas tant que les modalités ne sont pas claires. Nous avons plaidé pour que la réforme ne soit pas précipitée et qu’elle soit actée avant toute discussion budgétaire.
En revanche, là où je pense qu’il y a de vraies économies à faire, c’est au niveau des mutuelles. Les mutuelles, plus j’avance, plus j’ai l’impression qu’elles ne servent pas à grand-chose dans le parcours de soins. Leur rôle me paraît très faible. On peut demander beaucoup plus d’efforts de leur côté. Les budgets de fonctionnement des mutualités peuvent être revus à la baisse bien avant ceux des hôpitaux ou des médecins.
Face au milliard dévolu aux mutuelles, les syndicats médicaux (Absym, Cartel, AADM…) reçoivent à peine un million d’euros pour l’ensemble du pays. Faut-il revoir cette dotation ?
Je ne suis pas syndicaliste dans l’âme, mais je reconnais leur rôle essentiel. Les syndicats médicaux sont indispensables à l’équilibre du système. Sans eux, le ministre aurait beaucoup plus de pouvoir.
Une dotation d’un million pour tous les syndicats francophones et néerlandophones, c’est très faible. On pourrait envisager de la revoir, à condition que ce soit justifié et que l’argent serve vraiment à renforcer la représentation médicale.
Vision globale pour les échanges de données de santé
On parle souvent de la “lasagne institutionnelle”. En Belgique, on compte neuf ministres de la Santé. Faut-il réduire ce nombre ?
Je l’ai toujours défendu. Il faut réduire le nombre de ministres, c’est une évidence.
Les régions ne sont pas les mieux placées pour gérer la prévention : c’est une compétence qui devrait revenir à l’Inami. D’ailleurs, Benoît Colin (administrateur-général de l’Inami qui prendra sa retraite fin 2025, NDLR) l’a lui-même évoqué récemment. Je plaide pour redonner à l’Inami un rôle central, tant pour la prévention que pour le curatif, et pour simplifier d’urgence la gouvernance de la santé.
Sur le plan numérique, on parle beaucoup du partage des données de santé (eHealth, Vitalink, EHDS…). Faut-il s’en réjouir ou s’en méfier ?
La numérisation est indispensable, mais elle doit être mieux coordonnée. Aujourd’hui, les acteurs ne collaborent pas assez : eHealth, Abrumet, les hôpitaux… chacun travaille dans son coin.
Il faut une vision globale et interfédérale pour assurer l’interopérabilité et surtout la protection des données. Des entreprises comme Amazon ou Google manifestent un intérêt pour les données médicales belges : cela montre l’urgence de renforcer nos garde-fous.
Je suis pour la digitalisation, mais à condition de fortifier nos institutions nationales qui garantissent la confidentialité des informations des patients.
Vous exercez comme conseiller communal (MR) à Saint-Gilles, une commune bruxelloise relativement pauvre. Ressentez-vous une aggravation des inégalités d’accès aux soins ?
Oui, très clairement. Dans le bas de Saint-Gilles, les indicateurs de santé sont nettement plus mauvais : la prévalence du diabète de type 2 dépasse 50 %. L’accès aux soins et l’éducation thérapeutique sont beaucoup plus difficiles dans les quartiers précaires.
Ce n’est pas seulement une question de mutuelles. C’est aussi une responsabilité médicale et institutionnelle. Il faut aller vers les patients, dépister dans les quartiers, recréer une sorte de “plan santé locale” inspiré des anciens dispositifs communautaires. L’échelon local doit redevenir un acteur du dépistage et de la prévention.
« Sans les syndicats médicaux, le ministre aurait bien trop de pouvoir sur la profession. »
Le secteur infirmier traverse une crise sans précédent. L’Hôpital universitaire de Bruxelles leur fait les yeux doux. Que proposez-vous pour rendre ce métier à nouveau attractif ?
Il faut revaloriser d’urgence les métiers du soin. J’avais proposé d’aborder la question du recrutement infirmier à la table des négociations, mais cela n’a pas été retenu. Pourtant, la pénurie est criante : infirmiers, kinés, techniciens d’imagerie… tous les métiers sont en tension.
Je crois qu’il faut libéraliser les normes d’encadrement et offrir plus de flexibilité. Si un infirmier souhaite travailler quelques heures dans un autre service ou un autre hôpital, il doit pouvoir le faire. Aujourd’hui, les règles internes l’en empêchent. La jeune génération cherche un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle : il faut adapter le système à cette réalité.
Quel message souhaitez-vous adresser aux médecins désabusés par la bureaucratie et les politiques d’économie ?
Je comprends leur lassitude. Nous devons défendre la liberté d’installation, la médecine libérale et l’autonomie des praticiens.
Notre système tend à tout centraliser dans les hôpitaux. C’est une erreur : les médecins libéraux sont indispensables à l’équilibre du système. Il faut leur donner les moyens de créer des centres pluridisciplinaires, des pôles d’expertise, d’exercer dans de bonnes conditions.
Le MR sera toujours aux côtés des médecins pour préserver leur liberté et s’opposer à la médecine étatique que certains veulent imposer.