JM Academy / Infectiologie
Les infections pédiatriques en médecine de première ligne
Pneumonie, bronchiolite, rhinopharyngite… Le diagnostic de ces infections respiratoires pédiatriques est avant tout clinique.
Pour le Pr Dimitri Van der Linden (Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles), il faut démystifier l'enfant malade qui vient en consultation avec une suspicion d'infection. Le challenge sera d’identifier l’enfant très malade qui a besoin d’une prise en charge immédiate.
« J’insiste beaucoup sur l'observation: en pédiatrie, on essaie d'être le plus clinique possible, de ne pas agresser l'enfant par de multiples examens complémentaires. L’observer, voir comment il interagit avec son environnement. Pour cela, il peut être important d'administrer un antipyrétique et de le réobserver 25-30 minutes après. Ce n'est pas toujours faisable dans la réalité, mais il faut essayer de ne pas se laisser tromper par une première apparence d'un enfant grincheux, liée simplement à un pic fébrile. »
L'observation donne une série d'informations importantes : l’aspect clinique (pâleur, marbrures, pétéchies, …), l’état respiratoire (tachypnée, geignements, …), convulsions, léthargie, apathie, absence totale d'interaction… « On peut écouter des bruits anormaux, un grunting, un stridor, des cris d'irritabilité chez les nourrissons septiques ou avec suspicion de méningite. Enfin, par un rapide examen clinique d'évaluation primaire, on peut rechercher les signes de gravité, en identifiant notamment s'il y a des signes méningés ou une détresse respiratoire. C’est très important de prendre les paramètres de l'enfant, que ce soit en triage à l'hôpital ou dans votre cabinet, et de les reprendre lors de la réévaluation, car l’état du patient peut rapidement se détériorer. »
En pédiatrie, on essaie d'être le plus clinique possible, de ne pas agresser l'enfant par de multiples examens complémentaires.
Toux fébrile de l’enfant
« La première question qu'on doit se poser face à un enfant qui consulte pour une toux fébrile, c'est de savoir s’il est en danger, s’il est en détresse respiratoire. Les signes d'alerte respiratoire de l'enfant : la tachypnée (la fréquence respiratoire qui doit se prendre sur une minute avec une montre et non sur 15 secondes en multipliant par quatre), les battements des ailes du nez, le tirage intercostal, sous-costal ou sus-sternal et dans les cas les plus graves, un balancement thoraco-abdominal. Attention : lorsque l'enfant fait moins d'effort respiratoire, ce n'est pas nécessairement un signe qu'il va mieux, ça peut signifier qu’il se détériore et est proche de l'arrêt respiratoire. »
« Face à un enfant qui a une toux fébrile et en détresse respiratoire, il faut reprendre les bases et l'ABCD, d'abord être sûr qu'il n'y a pas un obstacle, libérer les voies aériennes et puis évaluer rapidement de quel type de détresse respiratoire il s'agit et y apporter une prise en charge adéquate et rapide. »
Le pédiatre rappelle le 'BFTVO' - breathing, fréquence, travail, volume (voir, sentir, écouter) respiratoires, oxygénation - pour évaluer la respiration : « L’absence de cyanose n'est pas synonyme de bonne oxygénation. Cela vaut la peine d'avoir un bon oxymètre, idéalement pédiatrique ou un adulte qu'on peut adapter sur la main ou le pied de l'enfant. Ensuite, comme dans l’abord de tout enfant fébrile, il faut évaluer l'état hémodynamique de l'enfant en mesurant sa fréquence cardiaque et en la rapportant au tableau selon l'âge qui doit toujours être à proximité, en évaluant la perfusion périphérique (extrémités froides ? temps de recoloration ?), les pouls, l'état de précharge (palper le foie, regarder les jugulaires) et prendre la tension artérielle (cf. tableau ci-dessous). »
Pneumonie
« Le diagnostic de pneumonie est avant tout clinique », insiste le Pr Van der Linden. « Une fièvre élevée, une fréquence respiratoire augmentée, des signes pathologiques à l’auscultation (crépitants, souffle tubaire, diminution du murmure vésiculaire), une toux qui peut être modérée au départ… Le diagnostic peut parfois être un défi dans les premières heures de la maladie et chez l'enfant, on retrouve souvent des signes digestifs (vomissements, selles molles…), c'est fréquent pour toute infection bactérienne chez l’enfant (pyélonéphrite, méningite, pneumonie). »
Quand faire un bilan ? Doit-on faire systématiquement une radiographie de thorax pour confirmer ce diagnostic ? « La réponse n'est pas simple, ça va dépendre de l'état clinique de l'enfant et de votre environnement de travail (accès facile à ce genre d'examen paraclinique ?) Est-ce que ça va changer votre prise en charge ? Chez un enfant en détresse respiratoire importante avec une hypoxie, éventuellement septique, il faut faire une radiographie de thorax. De même, si on a initié un traitement et que l'évolution clinique n'est pas favorable ou si on suspecte une complication. Cette réflexion est applicable à d'autres examens paracliniques comme la prise de sang ou une hémoculture. Rappelons également que l’aspect radiologique ne pourra pas vous guider sur l’origine bactérienne ou virale de la pneumonie. » [1]
Quand traiter en ambulatoire ? Quand référer à l'hôpital ? « Un enfant qui a un état général conservé, qui n'a pas d'intolérance alimentaire, qui vit dans des conditions sociales permettant un suivi en cas de détérioration, qui conserve une saturation >92 % et qui ne présente pas une détresse respiratoire sévère, peut être pris en charge en ambulatoire. Une prise de sang avec une CRP très élevée n'est pas un critère d'hospitalisation et de traitement par antibiotique intraveineux, c'est la clinique qui va être essentielle à la prise de décision. »
« En cas de pneumonie », résume-t-il, « on hospitalise tout enfant malade, d'allure toxique, qui présente une détresse respiratoire, des signes de lutte, une hypoxémie, qui ne tolère pas son traitement par voie orale ou qui a une intolérance alimentaire, si vous êtes inquiet par rapport aux conditions sociales, en présence certaines comorbidités (ex-préma, cardiopathie, immunodépression…). Le cas des nourrissons de moins de six mois devra être discuté avec un pédiatre. De même, il faut hospitaliser si vous avez mis cliniquement en évidence un épanchement ou que vous l'avez révélé à l'échographie ou à la radiographie thorax, ou des pneumonies très étendues, souvent associées à un état clinique alarmant. »
Bronchiolite du nourrisson
Ici aussi, le diagnostic est avant tout clinique. « Tout d'abord, il faut faire la part des choses entre une vraie détresse respiratoire et un simple encombrement au niveau respiratoire supérieur : on fait un soin du nez avec du sérum physiologique, on aspire et puis on réévalue l’état clinique. » Les signes de détresse respiratoire : grunting, battement des ailes du nez, tachypnée, tirage intercostal, sous-costal et, à l’auscultation, des sibilances, des crépitants.
Quand référer un nourrisson atteint de bronchiolite ? « Quand il présente une détresse respiratoire importante avec une désaturation (< ou = à 90 %), s’il ne s'alimente plus, a une intolérance alimentaire ou est fébrile. Il faut être particulièrement vigilant chez les bébés de moins de trois mois. »
Le Pr Van der Linden attire également l’attention sur l'oxygénothérapie : « On a tendance à utiliser trop d'oxygène chez ces enfants. En cas de bronchiolite, on cible une saturation partielle en oxygène entre 90 et 94 %. Si elle est supérieure à 95 %, on doit absolument débuter le sevrage progressif des suppléments en oxygène. »
Rhinopharyngite
Dans la majorité des cas, l'enfant fébrile qui consulte pour une symptomatologie sans manifestation clinique d’infection des voies respiratoires inférieures, avec un encombrement respiratoire, une toux, présente une rhinopharyngite virale. « Un nourrisson peut faire six à huit épisodes de rhinopharyngite par an, surtout s'il fréquente la crèche ou s'il fait partie d'une fratrie qui fréquente la collectivité. »
Les sécrétions respiratoires coulent dans l'arrière gorge et provoquent un réflexe de toux. C’est un tableau clinique banal qui nécessite un traitement symptomatique, après s’être assuré de l’absence de facteurs de risque (immunosuppression, maladie chronique, comorbidités).
Le Pr Van der Linden rappelle que la couleur des sécrétions nasales ne signifie pas qu'il y a une surinfection bactérienne: « La couleur verte des sécrétions vient de la myéloperoxydase, une enzyme qui se trouve au niveau des neutrophiles et qui donne cette fameuse couleur verdâtre aux sécrétions. Ce tableau est responsable d'un nombre énorme de consultations et il faut rester extrêmement clinique et rassurant, ne pas être tenté de prescrire des gouttes nasales ou antibiotiques et éviter le plus possible les vasoconstricteurs. »
Référence
1. Indications de Rx thorax : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29043422/
Mycoplasma pneumoniae, quand faut-il tester ?
« Le diagnostic de ces infections est un défi », reconnaît le pédiatre. « On teste beaucoup trop et trop vite. Les anticorps sont généralement négatifs durant les sept premiers jours de l'infection, donc il faut éviter de faire des sérologies trop précocement dans le décours de la maladie. Ces infections guérissent généralement spontanément. Si on ne s'en sort vraiment pas, si l'enfant éprouve des difficultés à tousser de façon chronique, on peut envisager un macrolide en dernier recours. Les contrôles sérologiques sont à prohiber puisque les anticorps restent positifs durant plusieurs mois. Lorsqu'on opte pour la biologie moléculaire et, j'insiste, ce sont des tests qu'on devrait réserver à des enfants très malades hospitalisés, il faut pouvoir également interpréter ces résultats avec précaution car la PCR peut rester positive très longtemps [1]. »
1. Mycoplasma pneumoniae : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32118860/
Deux autres conseils importants
Le Pr Van der Linden insiste sur le fait de ne pas oublier de prélever des urines chez tout enfant de moins de deux ans qui présente une fièvre sans foyer et d’avoir une vigilance toute particulière pour les nourrissons de moins de trois mois fébriles, qui doivent être systématiquement référés à l’hôpital pour évaluation (car ils sont particulièrement fragiles et peuvent se dégrader très rapidement sur le plan clinique). Il insiste sur le fait de ne pas donner d’antibiotiques à ces derniers avant de les référer afin de ne pas interférer avec les cultures qui pourraient être réalisées en intrahospitalier.
Objectifs d'apprentissage
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec :
- L’intérêt de l’examen clinique chez un enfant avec une suspicion d’infection, en réservant les examens ; complémentaires aux cas particuliers ;
- La prise en charge de la toux fébrile de l’enfant ;
- La prise en charge de la pneumonie ;
- La prise en charge de la bronchiolite du nourrisson ;
- La prise en charge de la rhinopharyngite ;
- L’intérêt d’un prélèvement urinaire chez l’enfant fébrile de moins de deux ans sans foyer ;
- La nécessité de faire hospitaliser d’emblée tous les enfants de moins de trois mois fébriles.
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