« La pneumologie belge est à la pointe en Europe »
Nouvellement élue à la présidence de la Belgian Respiratory Society (BeRS), la Pre Florence Schleich fixe un cap clair pour la communauté pneumologique belge : harmoniser la qualité des soins respiratoires, renforcer les registres nationaux et défendre la voix des pneumologues dans un contexte de réforme de la nomenclature.
La nouvelle présidente plaide pour une détection plus précoce des maladies respiratoires, une collaboration accrue avec la première ligne et un investissement résolu dans la prévention et la lutte contre le tabac et le vapotage.
Le journal du Médecin : Vous venez de prendre la présidence de la BeRS pour 2025-2026, quelles sont vos trois priorités immédiates pour la BeRS et pour la communauté pneumologique belge?
Pre Florence Schleich : La première priorité, c’est l’accès et la qualité des soins respiratoires pour les patients porteurs de pathologies respiratoires, avec une prise en charge harmonisée des patients dans tous les centres belges. Ceci passe par des stratégies de soins harmonisées, la détection précoce des maladies respiratoires chroniques et le maintien de remboursements pour une médecine de qualité en Belgique.
Depuis ma prise de fonction en tant que présidente de la BeRS en janvier 2025, nous avons déjà établi plusieurs « guidances nationales » pour la prise en charge de pathologies respiratoires (critères pour référer les patients pour la mise en place de valves ou pour la greffe pulmonaire, guidelines sur la façon de mesurer les volumes pulmonaires, position de la BeRS sur l’utilisation des cigarettes électroniques et du vapotage…). Nous avons d’autres documents en cours de développement dans le domaine des pathologies interstitielles, des troubles du sommeil et de l’oncologie.
« Notre objectif à long terme est une ‘génération sans tabac’. »
Nous voulons établir des parcours intégrés pour les maladies respiratoires chroniques telles que l’asthme sévère, la BPCO et les bronchectasies. Nous devons par exemple travailler en collaboration avec la médecine générale pour amplifier l’usage de la spirométrie en détection précoce des maladies respiratoires en Belgique. Seuls 10 % des médecins généralistes utilisent la spirométrie en routine, nous devons travailler main dans la main avec nos collègues généralistes pour améliorer l’usage de la spirométrie en première ligne.
Nous travaillons avec la Belgian Lung Fundation (BeLF) au développement d’un plan national des maladies respiratoires chroniques (…) [Pour faire entendre la voix des pneumologues], nous avons déjà pris contact avec le cabinet du ministre de la Santé publique en ce qui concerne la convention sommeil, les ergospirométries et la convention oxygène (…) Notre objectif à long terme est clair, avec la BeLF : une ‘génération sans tabac’.
Si vous aviez l’occasion d’adresser un message direct aux décideurs politiques, que leur diriez-vous en tant que pneumologue et présidente de la BeRS ?
Il est indispensable d’investir dans la prévention et le dépistage des maladies respiratoires. La lutte contre le tabagisme et la régulation du vapotage doivent être des priorités en termes de santé publique et sociétale. Le tabac reste aujourd’hui la première cause évitable de mortalité dans le monde. Chaque jour, ce sont des vies perdues, des familles touchées et un coût immense pour notre système de soins de santé. Le risque lié au vapotage ne doit pas être minimisé. Nous avons établi au sein de la BeRS une Task Force en collaboration avec la BeLF pour travailler à cette thématique extrêmement importante. Il n’y a pas assez d’évidences dans la littérature qui indiqueraient que les e-cigarettes et autres produits dérivés du tabac sont moins toxiques sur le long terme. La plupart des études qui suggèrent une moindre toxicité ont été financées par l’industrie du tabac. Ces produits contiennent des métaux lourds et des composés organiques volatiles qui peuvent être toxiques pour les voies respiratoires et le système cardiovasculaire.
En tant que société scientifique respiratoire, nous sommes alarmés par la popularité croissante des e-cigarettes dans nos populations jeunes, popularité renforcée par les arômes attractifs proposés par l’industrie et le marketing qui y est associé. Le cerveau immature des jeunes les rend particulièrement vulnérables à l’addiction. Nous sollicitons une législation stricte telle que l’abolition récente des vapotes jetables, et l’interdiction de la vente des vapotes aux arômes attractifs favorisant l’addiction des jeunes Belges. Les poumons belges ne devraient respirer qu’un air propre. Nous soutenons les stratégies d’éducation à la santé, telles que le projet “vapenjouwkeuze” en cours dans les écoles belges, et encourageons leur développement. Nous avons aujourd’hui la responsabilité historique de rompre le cycle de dépendance que le tabac entretient depuis des siècles.
Quelles pistes voyez-vous pour renforcer la relève et l’attractivité de la discipline pour les jeunes médecins ?
La pneumologie est une discipline centrale aujourd’hui, au cœur des enjeux de santé publique. Devenir pneumologue, c’est choisir une spécialité au service de la respiration des patients et de la société toute entière. Les jeunes médecins doivent être informés de la diversité de la spécialité : pathologies obstructives, pathologies interstitielles, actes techniques multiples, oncologie, sommeil, réhabilitation, urgences et soins intensifs, infections, maladies vasculaires pulmonaires, revalidation, recherche… Il s’agit d’une discipline complète et profondément humaine, qui accompagne des patients souvent sur le long terme.
« La pneumologie belge est extrêmement talentueuse dans le domaine de la recherche et est dans le top européen voire mondial. »
Registres, IA, biomarqueurs, outils prédictifs : la Belgique est-elle en avance, en retard ou simplement « dans la moyenne » en matière de données et d’innovations en pneumologie ?
La pneumologie belge est extrêmement talentueuse dans le domaine de la recherche, et est dans le top européen voire mondial. La collection des données et les registres font partie des priorités. Nous devons disposer de données belges de qualité pour mieux comprendre nos patients, mesurer nos résultats et améliorer les soins en Belgique. Nous disposons d’un registre belge de l’asthme sévère (BSAR) pour lequel nous avons établi une collaboration étroite avec le registre européen SHARP. Nous avons également un registre pour la fibrose et le registre BPCO est en cours de développement.
Nous avons été parmi les premiers pays européens à développer ce registre belge de l’asthme sévère. Nous ne bénéficions d’aucune aide du fédéral pour le maintien de ce registre. Les pneumologues encodent les données de leurs patients de façon bénévole, convaincus de l’intérêt des registres en pathologies sévères. De nombreux centres belges sont impliqués dans la recherche en vue d’utiliser l’intelligence artificielle pour aider le pneumologue à protocoler des ERF (explorations de la fonction respiratoire), réaliser le comptage cellulaire de l’expectoration induite, détecter des anomalies sur les scanners thoraciques, collecter des données et faciliter le partage entre patients, médecin généraliste et spécialiste.
J’aimerais développer une plateforme nationale de télémonitoring qui permettrait l’amélioration de la prise en charge des patients en facilitant le partage des données collectées entre le patient, son médecin généraliste et son pneumologue. Une application téléchargeable sur le téléphone portable, qui collecterait les symptômes sous la forme de questionnaires validés, les traitements pris par le patient, et associerait de petits dispositifs permettant la mesure de la spirométrie au domicile. Ce type de programme permettrait une amélioration de la prise en charge des patients porteurs de maladies respiratoires chroniques (prévention et prise en charge des exacerbations), ainsi que la communication avec le médecin généraliste et spécialiste.