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JM Academy / Pédopsychiatrie

Autisme, une approche revue et corrigée

D'origine plurifactorielle, l'autisme se situe au carrefour de deux grandes dimensions symptomatologiques. Catégorielle sous le règne du DSM-4, son approche est désormais dimensionnelle. 

Philippe Lambert

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Photo de Ksenia Makagonova sur Unsplash

L’autisme est-il un trouble dont la fréquence ne cesse de croître ? Bien que coiffés d’un halo d’incertitude, certains chiffres pourraient mener à cette conclusion. Pourtant, il ne s’agit très probablement que d’un faux-semblant. Il y a une vingtaine d’années, les données épidémiologiques faisaient état de 5 cas pour 10.000 individus, mais au gré des études, elles oscillaient néanmoins entre 2 et 20 cas pour 10.000 personnes. Aujourd’hui, un pays comme les États-Unis, par exemple, serait confronté à un doublement de la prévalence du trouble autistique par rapport à la fin des années 1980 (1/500 contre 1/1.000). 

Comme l’indique le Pr Alain Malchair, pédopsychiatre, chargé de cours honoraire à l'Université de Liège et actuellement directeur médical du centre La Manivelle, à Liège, les raisons de cette augmentation, que l’on constate dans tous les pays, sont multiples et encore débattues.

Évolution de la définition vers un champ plus large

Certes, des facteurs environnementaux peuvent éventuellement être incriminés, les recherches actuelles dessinant le profil d’un trouble résultant d’une combinaison de facteurs d’origine génétique, neurologique et environnementale. « Mais », dit le Pr Malchair, « il existe une meilleure connaissance de l’autisme dans le public et auprès des professionnels de la santé, ainsi que des instruments d’évaluation plus efficaces et une meilleure organisation des services de diagnostic, ce qui implique une meilleure identification ».

Il précise qu’un autre élément mérite assurément d’être mis en exergue : la définition de l’autisme a changé et recouvre un champ plus large. Publiée en 1994, la quatrième édition du DSM de l’Association américaine de psychiatrie (APA) définissait l’autisme comme un « trouble envahissant du développement », appellation sous laquelle elle rangeait non seulement l’autisme pur ou « autisme de Kanner », mais également d’autres troubles tels que le syndrome de Rett, le trouble désintégratif de l’enfance et le syndrome d’Asperger. 

Trouble envahissant, pourquoi ? Parce qu'il ruine chez l'enfant des dimensions essentielles en induisant des altérations qualitatives des interactions sociales et de la communication. Difficulté à établir des relations avec les autres, manque de réciprocité sociale ou émotionnelle, retard ou absence de langage, manque de dialogue, difficulté dans la communication verbale et non verbale constituent quelques exemples de perturbations observées dans le cadre de ces altérations.

En outre, l'autisme est indissociable d'un phénomène de résistance au changement. Le DSM-4 soulignait à ce propos le caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités.

« Un enfant avec autisme peut, par exemple, passer des heures à ranger des objets dans un ordre déterminé. En revanche, tout changement l'effraie et le perturbe », indique Ghislain Magerotte, professeur émérite de l'UMons et fondateur, avec Éric Willaye, du Service universitaire spécialisé pour personnes avec autisme (SUSA).

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Le Pr Alain Malchair, pédopsychiatre, chargé de cours honoraire à l'Université de Liège et directeur médical du centre La Manivelle à Liège.

Publié en mai 2013 et révisé en mars 2022, le DSM-5 ne définit plus l’autisme comme un trouble envahissant du développement, mais se réfère au concept de « trouble du spectre autistique » (TSA). « On est passé d’une approche catégorielle basée sur des diagnostics par sous-catégories à une approche dimensionnelle constituée d’une catégorie large formée par les troubles du spectre de l’autisme, lesquels s’inscrivent désormais sur un continuum de sévérité comportant trois niveaux », explique le Pr Malchair. Pour lui, et pour le Pr Magerotte, la notion de trouble envahissant du développement était sujette à caution, notamment parce que la sous-catégorie des troubles dits non spécifiés était étonnamment la plus fournie. 

Deux grandes dimensions symptomatologiques 

L’approche dimensionnelle de l’autisme fait fi de catégories telles que le trouble désintégratif de l’enfance et le syndrome d’Asperger, qui n’apparaissent plus dans le DSM-5, ainsi que du syndrome de Rett, déficience intellectuelle sévère et progressive, exclusivement féminine, sans lien objectif avec l’autisme. Dans la pratique courante, l’emploi de la terminologie de syndrome d’Asperger, qui concerne des autistes de haut niveau (traits autistiques assez marqués, intelligence élevée), demeure fréquente. Et même abusive car, pour d’aucuns, il est « très tendance » de se déclarer Asperger de la même manière qu’il est à la mode de se revendiquer « haut potentiel ». « C’est un phénomène qu’on observe en consultation clinique - ‘Mon enfant est Asperger et moi-même, je le suis un peu...’ », rapporte le Pr Malchair. 

Sous l’ère du DSM-4, le diagnostic de l’autisme reposait sur une triade de symptômes : déficits dans la communication, déficits dans les relations sociales, stéréotypies. La scission entre les deux premiers éléments de cette triade est apparue peu pertinente, car ils sont manifestement intriqués. Aussi le DSM-5 fonde-t-il le diagnostic de TSA sur deux grandes dimensions symptomatologiques : d’une part, des déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés ; d’autre part, un caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités.

« Ces symptômes doivent être présents durant la petite enfance, mais il n’existe plus de critère strict quant à l’âge », commente Alain Malchair. En effet, les signatures de l’autisme ne sont pas nécessairement manifestes avant que les sollicitations sociales n’excèdent les capacités limitées de l’enfant, en particulier dans la frange basse du continuum autistique. En outre, pour qu’on conclue à un TSA, il faut que les symptômes aient un retentissement significatif dans la vie de l’individu, et que les troubles observés ne s’expliquent pas par un handicap résultant d’un trouble du développement intellectuel ou par un retard global de développement.

La question du quotient intellectuel des personnes avec autisme reste brûlante. Il y a quelques années encore, on considérait qu’en leur sein, plus de 50% avaient une déficience intellectuelle (Q.I. inférieur à 70), tandis qu’une minorité (quelque 10%), les sujets avec Asperger, bénéficiait de capacités cognitives affûtées, voire supérieures. Le chercheur et psychiatre Laurent Mottron, de l’Université de Montréal, insiste cependant sur le fait que les outils utilisés pour appréhender l’intelligence des personnes avec autisme (essentiellement des tests verbaux) ne sont pas adéquats. Il a cette phrase, en substance : « C’est comme si on évaluait l’intelligence d’une carpe à sa capacité de grimper aux arbres. » Les chiffres ont été revus à la baisse. L’Institut du cerveau (ICM - Paris) considère à présent qu’environ 30% des personnes avec autisme sont affectées d’une déficience intellectuelle dont la gravité interindividuelle est très variable. 

Les femmes, plus résistantes 

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Photo de Fabian Centeno sur Unsplash

L’autisme est à large prédominance masculine - 3 à 4 garçons pour une fille. Comment expliquer ce « sex-ratio » ? Selon Simon Baron-Cohen, directeur du centre de recherche sur l’autisme à l’Université de Cambridge, l’autisme serait une forme extrême de masculinité. Aux termes de son hypothèse, d’ailleurs relayée le 9 août 2005 dans le New York Times, un taux très élevé de testostérone prénatale pourrait baliser la voie de l'autisme, les performances normales du cerveau masculin s'avérant déjà inférieures, en moyenne, à celles du cerveau féminin sur les plans de la reconnaissance des émotions, de la perception sociale ou encore des capacités langagières, mais meilleures dans le domaine de la systématisation. Ce qui, exacerbé par un très haut taux de testostérone prénatale, cadrerait avec les symptômes des TSA : déficits dans la communication et les interactions sociales, stéréotypies. Comme nombre de théories explicatives de l’autisme, cette hypothèse a ses partisans et ses détracteurs. 

En 2014, une équipe helvético-québécoise conduite par Sébastien Jacquemont a analysé chez plusieurs centaines de patients autistes, hommes et femmes, quelque 1.300 gènes importants pour le développement cérébral. Les chercheurs se sont intéressés à deux types d'anomalies génétiques : les mutations ponctuelles de nucléotides uniques (les SNVs), ainsi que les délétions et les duplications (les CNVs) traduisant respectivement la perte ou l'ajout en double exemplaire de segments d'ADN sur un chromosome. Qu'ont-ils constaté ? Que le nombre d'anomalies génétiques était significativement plus élevé chez les femmes avec autisme que chez les hommes avec autisme. De surcroît, plus les mutations étaient délétères - par exemple, lorsqu'étaient touchés de grands segments d'ADN renfermant plusieurs gènes -, plus les femmes en étaient fréquemment la cible : elles avaient alors trois fois plus d'anomalies génétiques que les hommes. Pour Sébastien Jacquemont, ces résultats suggèrent qu'à nombre égal d'atteintes génétiques, les femmes expriment moins de symptômes de l'autisme. En d'autres termes, elles seraient plus résistantes que les hommes face aux mutations. Le cerveau féminin pourrait donc jouir d’une protection contre les effets de celles-ci. 

La plupart des hypothèses avancées pour expliquer l’autisme éclairent une facette du problème mais, prises isolément, elles se révèlent parcellaires. 

Origine plurifactorielle 

On recense diverses théories explicatives de l’origine de l’autisme. Celle, susmentionnée, de Baron-Cohen, et bien d’autres. Probablement, la plupart des hypothèses avancées éclairent-elles une facette du problème et certaines d’entre elles sont-elles complémentaires mais, prises isolément, elles se révèlent manifestement parcellaires. Les TSA sont clairement d’origine plurifactorielle, ils éclosent chez des personnes génétiquement prédisposées après une exposition à un ou des facteurs environnementaux qui demeurent inconnus, même si l’on évoque, sans réelle certitude, la prise de certains médicaments pendant la grossesse, la prématurité ou encore le manque d’oxygène à la naissance. Une chose est certaine, la thèse défendue par le psychanalyste américain d’origine autrichienne Bruno Bettelheim dans son livre La Forteresse vide (1967) n’a plus voix au chapitre depuis longtemps déjà. S’est ainsi effacée une approche culpabilisante et profondément délétère qui attribuait l’origine de l’autisme à l’attitude des parents, en particulier au manque d’amour et d’empathie de la mère à l’égard de son enfant. 

Confirmée par la forte concordance de l’autisme chez les jumeaux monozygotes, la composante génétique des TSA apparaît aujourd’hui comme prépondérante dans l’apparition de ces troubles. Cette concordance est estimée à 70%. Argument clé quand on sait qu’elle est plus de dix fois inférieure chez les jumeaux dizygotes et au sein d’une fratrie « classique ». Selon les données de l’ICM, plusieurs centaines de gènes de prédisposition ont été identifiés. Beaucoup sont impliqués dans la neurotransmission, la formation des synapses et, plus globalement, dans des étapes cruciales de la formation du cerveau. « Cette hérédité est complexe, polygénique, donc non mendélienne », souligne Alain Malchair.

Chez les personnes avec autisme, on observe notamment une altération et des défauts d’activation du sillon temporal supérieur. 

Des anomalies sur les plans neuroanatomique et neurophysiologique ont été révélées par les études d’imagerie cérébrale structurelle et fonctionnelle. Chez les personnes avec autisme, on observe notamment une altération et des défauts d’activation du sillon temporal supérieur. « Connecté aux cortex préfrontal ventromédian, pariétal inférieur et périamygdalien, ce sillon est impliqué dans la reconnaissance des aspects intentionnels, affectifs et sociaux de la voix, du regard et des mouvements, dans l’imitation, via le système des neurones miroirs, et dans l’attribution d’actes intentionnels et de pensées à autrui », rapporte le Pr Malchair.

Autre exemple d’anomalie : des études en activation ont montré une mauvaise latéralisation hémisphérique (prédominance de l’hémisphère droit sur l’hémisphère gauche) chez les personnes avec autisme lors de l’écoute de sons verbaux et non verbaux. On pourrait également citer, entre autres, certains travaux qui ont mis en évidence un mode de perception anormal des visages chez les individus présentant un TSA. Au lieu d’activer le gyrus fusiforme, structure des régions occipito-temporales inférieures dévolue à cette fonction, ils activent une autre région normalement dédiée au traitement visuel des objets. Ce qui est en phase avec une perturbation du traitement des stimuli sociaux. 

À côté des facteurs génétiques, neuroanatomiques et neurophysiologiques, des facteurs neuropsychologiques, sensoriels et perceptivo-moteurs sont au centre de plusieurs théories explicatives de l’autisme. Une approche psychanalytique « revisitée » est également formulée. Nous abordons ces sujets dans notre second article, ainsi que la question de la prise en charge des enfants avec autisme. 

Objectifs d'apprentissage  
La lecture de cet article vous aura familiarisé(e) avec : 
- Les interprétations formulées face à la prévalence croissante de l’autisme. 
- L’abandon de l’approche nosologique catégorielle au profit d’une perception dimensionnelle. 
- Dans les critères diagnostiques, l’abandon de la triade symptomatologique au profit de deux grandes dimensions symptomatologiques. 
- Les explications rattachées à la prédominance masculine dans la population atteinte d’autisme. 
- L’origine plurifactorielle de l’autisme. 
- L’abandon des théories pathogéniques culpabilisantes vis-à-vis de la mère d’un enfant atteint d’autisme. 

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Écrit par Philippe Lambert16 décembre 2025
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