Une retraite originale
Le Pr Michel Meurisse, de chirurgien pionnier dans la transplantation d'organes à... sculpteur de marionnettes
Il a pratiqué des milliers d’interventions chirurgicales, dont les premières greffes pancréatiques et pancréas-rein en Wallonie dès les années 1980. Il a publié des centaines d’études dans de prestigieuses revues scientifiques et participé à des missions humanitaires au Viet Nâm. Désormais, Michel Meurisse, professeur émérite de la faculté de médecine de l’ULiège, sculpte. Il a troqué le scalpel contre la gouge, qu’il manie des heures durant au chevet de marionnettes pour leur insuffler la vie, dont celles du petit théâtre du comédien Bouli Lanners. Rencontre avec un médecin passionné, également pianiste, dessinateur et ex-marathonien, dont la soif d’apprendre n’a de limites que l’objectif atteint... histoire de mieux rebondir vers une nouvelle vocation.
Cécile Vrayenne
Le Pr Meurisse, à l'origine, entre autres, de la première transplantation de pancréas côté wallon - c'était le 18 octobre 1984 au CHU de Liège -, est passionné par le bois. Il sculpte notamment des marionnettes depuis plusieurs années.
Sa passion pour le bois lui a permis de prendre le chemin de la retraite (2019) en douceur. Dès 2010, alors encore chef du service de chirurgie abdominale du CHU de Liège, le Pr Michel Meurisse s’inscrit au cours du soir de sculpture. L’amour du ciseau le mène ensuite vers la menuiserie et l’ébénisterie, avec une inclination pour l’ornement liégeois.
Quelques meubles et bas-reliefs plus tard (dont une réplique de la chaise de Rietveld), survient le covid... Le monde s’arrête et le rideau tombe sur les ateliers... Mais une rencontre va s’avérer déterminante : celle de Jean-François Henkinet, président du Centre de la marionnette de Saint-Nicolas, sur les hauteurs de la Cité ardente, dernier bastion de la création des marionnettes liégeoises, dont le plus célèbre ambassadeur n’est autre que Tchantchès. Le marionnettiste, en quête de techniques d’ornement pour embellir ses Charlemagne et chevaliers, et le chirurgien, retraité depuis quelques mois, sympathisent. « Je connaissais l’existence des marionnettes, surtout à Liège, mais jamais je n’avais songé à en créer ! Et là, j’ai eu le coup de foudre : les marionnettes me permettaient de mettre en pratique tout ce que j'avais acquis, tout en étant inventif. Et c'était autrement plus ludique que de sculpter un meuble », se souvient-il.
Du scalpel à la gouge, une formation qui n’en finit pas de continuer
C’était il y a cinq ans. Depuis, Michel Meurisse a fabriqué 140 marionnettes. Dont la plupart lui ont échappé. Car les commandes affluent : un souffleur de verre, un grand-père et sa petite-fille, une dizaine de marionnettes typées psychologiquement (un enfant trisomique, une mamy bienveillante...) pour des psychiatres de Bruxelles qui désirent les utiliser en thérapie avec des patients handicapés – « Là, je fais les plans de leur théâtre ! », précise Michel Meurisse.
Ou encore un Freddy Mercury qui n’attend plus que son costume de scène blanc et jaune du mythique Live at Wembley de 1986. Et c’est sans compter la centaine de couples de Tchantchès & Nanesse pour le musée de la Vie wallonne à fabriquer chaque année.
La marionnette de son cœur ? Celle dont il n’est pas prêt de se séparer ? « Eh bien, la plus aboutie », lâche, dans un sourire, ce perfectionniste en diable. Soit un magnifique Charlemagne de 115 cm, avec ornement en pur style liégeois, qui a exigé 300 heures de travail. Sa tringle accrochée au rayonnage de la bibliothèque, Carolus Magnus coudoie Mister Bean (avec son Teddy en poche), un Poutine en prisonnier de guerre menotté qui côtoie un Trump version premier mandat, qui lui-même frotte la manche… du pape François. Quelle galerie ! (ça doit être chaud, la nuit, dans le bureau de l’ancien chirurgien…)
« J’avais le projet de faire Kim Jong-un, mais quelqu’un m’a dit que si je voulais faire tous les co**s de la Terre, il n’y aurait jamais assez de tilleul ! », pouffe le chirurgien. Il raffole du rôle primal de la marionnette comme outil de propagande : « Dans toutes les cultures, on trouve des marionnettes qui servent à faire dire tout ce qu’on veut, et contre qui on veut. Quand Tchantchès se rebelle contre les riches, on ne le met pas en prison », illustre-t-il.
Dans le bureau trônent également Einstein, Laurel & Hardy ou encore une tête de « bok sin dint » - célèbre personnage wallon à la bouche édentée. Une autre star, dans l’atelier à la cave, attend encore quelques coups de gouge : Kylian Mbappé, commande expresse d’un de ses petits-enfants... Il en a sept, cela doit représenter pas mal de spectacles de marionnettes en famille ! « Eh non, je n'ai aucune imagination pour inventer des histoires, donc je ne suis pas montreur du tout ! », avoue-t-il.
Pourquoi utilise-t-on le tilleul pour les marionnettes?
Les sculpteurs recourrent essentiellement au bois de tilleul pour fabriquer les marionnettes - et de premier choix, surtout pour les visages - car il se sculpte facilement et presque dans tous les sens, contrairement au chêne dont il faut suivre le fil. Par ailleurs, cette essence est légère, c'est plus confortable pour le montreur qui doit la porter à bout de bras pour la faire jouer.
D'où proviennent ces tilleuls? De partout où l'on peut en trouver, en théorie, mais principalement de la scierie de Landin (Tintigny, dans les Ardennes) pour les marionnettes liégeoises. Plusieurs mètres cubes sont toujours en réserve à l'atelier. Le bois doit être parfaitement sec : il faut compter une année par centimètre de diamètre avant de pouvoir l’utiliser (un tronc de 40 cm = 40 ans de séchage !). Les marionnettes ont donc déjà un certain âge avant même d’exister...
« Médecin » des marionnettes de Bouli Lanners
Puis, un jour, le téléphone sonne. L’écran affiche un numéro inconnu au répertoire... « En général, si le numéro n'est pas dans mes contacts, je ne réponds pas », précise l’ancien chef de service, qui est alors dans son atelier, en train de sculpter.
« Je décroche, et j'entends : ‘‘ Bonjour, je suis le beau-fils de Jacques Ancion (un marionnettiste très connu à Liège et aujourd’hui décédé, NdlR). Dites, j'ai une série de marionnettes héritées de mon beau-père, est-ce que dans votre atelier à Saint-Nicolas, vous restaurez ? ’’ », narre Michel Meurisse. « Dans ma tête, j’ai un déclic et je réponds : ‘‘Mais vous êtes Bouli Lanners ! ’’ Et il me dit : ‘‘ Oui, oui, c’est Bouli ’’. Il est venu à l’atelier, le courant entre nous est tout de suite passé. Il a apporté des marionnettes à restaurer et je lui ai aussi fabriqué de nouveaux personnages : des Noirs, un enfant obèse, une femme d’allure normale (les marionnettes féminines sont soit des princesses, soit des femmes acariâtres, NdlR). » Toutes ces marionnettes sont désormais à voir au petit théâtre de marionnettes de Bouli Lanners et de son épouse Elise Ancion, au Théâtre de la Couverture chauffante à Liège.
L’ancien maître ès greffes signe-t-il ses œuvres pour la postérité ? Non, comme la plupart de ses prédécesseurs (sauf exceptions, des initiales, parfois, dissimulées sous la tête). « Mais souvent, on reconnaît le sculpteur à son style », confie Michel Meurisse, « ainsi des marionnettes de Deletrez, de la famille Pinet ou de Denis Bischeroux, dont un Charlemagne - merveille des merveilles ! - peut valoir jusqu'à 10.000 euros. »
« Le dessin a toujours été une passion... mais je suis daltonien. Le pire, c'est quand le Standard (en rouge) joue contre le Cercle de Bruges (en vert): je ne vois pas la différence ! Par contre, en chirurgie endocrine, je repérais de suite les parathyroïdes ! »
- Michel Meurisse, ancien chirurgien transplanteur
Pas très différent du bloc opératoire, au final...
« Opérer ne me manque pas », confie Michel Meurisse. « J’ai fait tout ce que j’aimais et j’ai tourné la page. Mais dans la sculpture - et notamment dans la marionnette -, je retrouve exactement les automatismes chirurgicaux : des outils tranchants, des gestes précis… »
Si, aujourd’hui, il passe toujours des heures penché sur les corps - des corps à réparer parfois, voire à greffer d’un nouveau lambeau de tilleul - , il n’a pas d’infirmière pour lui passer les instruments. « Et les marionnettes n’ont pas d’avocat non plus ! », glisse-t-il en boutade.
Il continue aussi d’exercer en musique, comme au temps du bloc, en compagnie de Bach - « presque mathématique, tellement géométrique, en contre-point qui va si bien avec la chirurgie ! Les infirmières préféraient la radio, et moi cela me rendait fou », rit-il. « Mais j’aime aussi le répertoire des romantiques ou, parfois, une balade de Chopin », précise ce musicien à ses heures, tombé en amour d’un orgue à 14 ans à Bouge (Namur), sa ville natale, et qui débuta le piano à 17 ans, en même temps que la médecine.
Mais contrairement à sa vie antérieure, tout ce qu’il fait, ici, se voit. Et quel labeur pour cet expert en anatomie qui soigne les moindres détails. Exit les traditionnels sabots grossiers : ses marionnettes portent des souliers (parfois à lacets). Il a aussi décidé de séparer les doigts - l’influence, peut-être, de son mentor le Pr Georges Lejeune, auteur notamment d’une greffe d’avant-bras et d’une greffe d’orteil pour remplacer un pouce ?
« Je trouvais les visages et les mains fort carrés. Donc, j'ai commencé à séparer les doigts. Au début, à l’atelier, on criait au scandale… Et j'ai vite compris pourquoi : les marionnettes qui jouent sont exposées à de nombreux combats, donc plus vous séparez, plus vous les fragilisez. C’est pour cela que les chevaliers ont un casque conçu pour protéger leur nez. Mais les marionnettes d’apparat ne risquent pas de se battre (sauf, peut-être, quelques-unes dans son bureau…), donc je soigne beaucoup l'anatomie. »
Son expertise de chirurgien et son œil de dessinateur portraitiste l’aident-t-il à insuffler une âme à ses œuvres ? « Indiscutablement ! Là, je réalise une guitare baroque de la Renaissance – une ‘vihuela de mano’. J’ai choisi une gargouille de Notre-Dame comme sculpture au bout du manche : marquer un deltoïde ou le muscle releveur de la lèvre supérieure donne plus de vie. » Il peut aussi compter sur les conseils de Pierre Bonnet, professeur d’anatomie humaine (ULiège) et dessinateur hors pair qui, par émulation, vient aussi de se mettre à la marionnette... Pour remplacer Michel Meurisse bientôt ?
« J'ai toujours besoin d'apprendre de nouvelles choses et j’ai un mode de fonctionnement ‘extrémiste’ (dixit Madame) : je me fixe un objectif et une fois qu'il est atteint, je passe à autre chose. Pendant toute ma carrière médicale, je courais 15 km tous les jours autour de l'hôpital avant d’entamer mes chirurgies et je faisais aussi trois marathons par an. Un jour, je me suis fixé de le courir sous les 3h. J’ai fait 2h59 au marathon d’Echternach et le lendemain, j’ai arrêté de courir ! Je viens de découvrir la lutherie grâce à Renzo Salvador qui a ouvert un atelier à côté de celui des marionnettes, j'ai envie de savoir comment on fait une guitare pour ne pas mourir idiot, donc maintenant, tout le monde autour de moi se demande quand je vais arrêter la marionnette... » (sourire)