Témoignage
Médecin boomer, retraité pauvre : mon malaise
"Je fais partie de cette génération qu’on appelle aujourd’hui les « boomers ». Quarante ans de médecine générale, exercée seul, en personne physique, avec une patientèle moyenne de 15 à 20 patients par jour. J’ai connu la pénurie bien avant qu’elle ne devienne un sujet politique. J’ai assuré toutes mes gardes avant l’époque des PMG, au rythme d’une semaine sur trois. Puis toutes mes gardes au PMG depuis 2011. Toutes. Sans me faire remplacer. Sans assistant. Sans déléguer à un stagiaire de première année parachuté de Bruxelles pour une nuit.
J’ai tenu. Par devoir. Par conscience professionnelle. Pas par calcul.
Après mes 65 ans, j’ai continué à travailler. Et aujourd’hui, je me casse la gueule financièrement. Je n’ai pas de villa en France ou en Espagne. Je n’ai pas de patrimoine à mettre à l’abri. Je suis devenu père très tard et j’ai encore deux jeunes filles à charge, de 16 et 14 ans. La réalité est là: la retraite ne protège plus.
Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est le décalage entre les discours et ce que vivent réellement certains médecins de ma génération. On parle d’attractivité, de nouvelles carrières, de travail en équipe. Très bien. Mais on oublie ceux qui ont exercé seuls, longtemps, sans filet, à une époque où l’optimisation fiscale n’était ni un réflexe ni une option.
Je ne suis ni expert fiscal ni juriste. Je suis juste un médecin fatigué, inquiet, et profondément désabusé. Voir aujourd’hui des publicités promettant des rendements élevés pour des produits de pension me met mal à l’aise. Elles rappellent à quel point les promesses passées ont parfois été décevantes, pour ne pas dire cruelles, pour toute une génération de médecins qui ont fait confiance au système.
Je ne cherche pas des coupables. Je ne règle pas de comptes. Mais je refuse qu’on continue à raconter une histoire lisse. Celle d’un corps médical globalement protégé, privilégié, à l’abri. Ce n’est pas vrai pour tout le monde. Et surtout pas pour ceux qui ont porté la médecine générale à bout de bras pendant des décennies.
Mon témoignage n’est pas un plaidoyer personnel. C’est un avertissement. Si nous voulons encore attirer des jeunes vers la médecine générale, il faudra aussi regarder honnêtement comment notre système traite ceux qui arrivent au bout du chemin.
Et accepter d’entendre que, parfois, la solidarité s’est arrêtée bien trop tôt."