
La (mauvaise) santé mentale en prison : des solutions existent
Un rapport sur l’état de la santé mentale en prison paraît ce jeudi, signé du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) et Unia. Basé sur une enquête dans cinq prisons du Royaume, le rapport propose un ensemble cohérent de solutions articulées autour de trois axes : le transfert des soins y compris de santé mentale au SPF Santé publique, le renforcement des équipes médicales, et l’adaptation des conditions de détention pour les patients-détenus.
Mais avant de songer à des solutions, on ne peut éluder certains constats. Tout d’abord, la proportion de personnes avec des troubles mentaux est importante dans nos prisons : entre 10 % et 22 % des détenus sont internés, avec une jauge maximale dans certains établissements comme Jamioulx (21,6 %), Lantin (18,8 %) ou Saint-Gilles (17,8 %).
Dans la majorité des prisons visitées, on mélange allègrement les internés et les non-internés. Ce qui crée des tensions et des risques accrus avec les détenus mentalement sains. D’autant que l’encadrement est trop faible. Selon le rapport, les effectifs sont dérisoires. A Lantin, pour 958 détenus, l’équipe de soins est composée de seulement 4,4 ETP infirmiers, 0,5 ETP psychiatre et 1,3 ETP psychologue (lire encadré). Oui : un psychiatre à mi-temps pour des centaines de détenus…
Sortir du giron du SPF Justice
Le rapport confirme ce que soulèvent les médecins des prisons – et tant l’administration pénitentiaire que le ministère de la Justice en sont d’accord : il faut sortir la psychiatrie du giron du SPF Justice et la déplacer sous celui du SPF Santé publique. Rappelons que ce dernier n’a toujours pas répondu à nos sollicitations. Peut-être parce que cette migration implique des dépenses supplémentaires de l’ordre d’au moins 50 millions. Si ce transfert permettrait un alignement des standards de soins en prison sur ceux en vigueur en milieu libre, il risque de faire enfler les dépenses car en prison, tous les soins et tous les médicaments ne sont pas accessibles (l’enveloppe est fermée, contrairement au « monde libre »).
Devant ces difficultés, le rapport propose non sans une certains prudence « d’accélérer le transfert effectif par étapes, à commencer par la mise en œuvre d’un pilotage partagé entre les deux SPF et une généralisation des projets-pilotes réussis, notamment ceux centrés sur l’addiction ».
Renforcer les équipes de soins
Autre avantage que permettrait cette intégration : une coordination accrue avec les hôpitaux psychiatriques, les services de santé mentale et les équipes mobiles dévolues aux patients libres. Nonobstant, face au manque d’encadrement, les auteurs du rapport recommandent de « créer des équipes mobiles intra-muros à l’instar des équipes mobiles de soins en santé mentale en milieu libre » et « d’augmenter les financements Inami pour créer des postes stables et attractifs, avec meilleure formation à la psychiatrie carcérale ». Il faut à tout prix éviter l’isolement et l’oubli qui en découle.
« Mettre fin à la confusion entre punir et soigner est une exigence démocratique »
Faisant apparemment fi de la dangerosité de certains détenus mentalement atteints, le rapport insiste sur l’urgence d’adapter les conditions de détention au niveau sécuritaire, incompatibles avec la nature même des soins. Passe par là « la réduction du recours à l’isolement et aux moyens de contrainte physique, qui aggravent les troubles psychiatriques ». Les auteurs espèrent que les autorités encourageront « la reconversion d’ailes classiques en petites unités thérapeutiques, avec accès à des espaces collectifs adaptés et du temps d’activité ».
À plus long terme, le CCSP et Unia plaident pour que les personnes internées soient sorties du circuit carcéral et orientées vers des structures de soins adaptées, dans le respect de leur dignité et des principes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
En complément, les auteurs rappellent l'importance :
1/De l’indépendance des médecins,
2/De la participation des patients-détenus aux décisions les concernant,
3/Du suivi des soins indépendant des recommandations formulées.
« Mettre fin à la confusion entre punir et soigner est une exigence démocratique », conclut le rapport.
Proportion d’internés dans 14 prisons (en %) :
Jamioulx : 21,6 %
Lantin : 18,8 %
Saint-Gilles : 17,8 %
Namur : 14,8 %
Tournai : 12,2 %
Leuze : 11,8 %
Autres : entre 1,1 % et 10,6 %
Moyens humains dérisoires en chiffres
Saint-Gilles : 2,3 ETP psychiatres, 1,9 ETP psychologues, 9,1 ETP infirmiers
Lantin : 0,5 ETP psychiatre, 1,3 ETP psychologue, 4,4 ETP infirmiers
Tournai : 0,2 ETP psychiatre, 1,1 ETP psychologue, 5,3 ETP infirmiers
Jamioulx : 0,4 ETP psychiatre, 1,7 ETP psychologue, 7,2 ETP infirmiers