Coupe budgétaire dans l’USAID : 14 millions de morts à prévoir d’ici 2030, alerte The Lancet
Une étude internationale parue dans la célèbre revue estime que la fin brutale du financement de l’USAID pourrait « effacer des décennies de progrès en matière de santé et développement ».
Laurent Zanella
14 millions de morts d’ici 2030, est-ce seulement possible ? C’est ce qu’affirme une étude – la première du genre – parue en ligne le 30 juin dans The Lancet.
L’importance de l’USAID
Les auteurs de l’étude rappellent d’abord ce qu’est l’USAID. Fondée en 1961, l’Agence des États-Unis pour le développement international poursuit un double objectif : d’une part, fournir une assistance humanitaire ; d’autre part, soutenir la croissance économique et l’autonomie des pays en développement, en particulier ceux considérés comme stratégiques pour les intérêts économiques et géopolitiques des États-Unis.
Par le biais de cette agence, les États-Unis ont surpassé tout autre pays donateur en termes d’importance dans l’aide humanitaire et au développement. Une donnée à relativiser car l’effort budgétaire était relativement modeste comparé à la richesse nationale (0,24% du revenu brut). « À titre de comparaison, la Norvège (1,09 %) et le Luxembourg (1,00 %) ont largement dépassé l’objectif de 0,7 % fixé par les Nations Unies, traduisant un engagement proportionnellement bien plus fort en faveur du développement international », précise The Lancet.
Toujours est-il qu’en 2023, les États-Unis représentaient 43 % de l’ensemble des financements publics apportés par les États au système humanitaire mondial. En 2024, l’USAID gérait plus de 35 milliards de dollars, selon les estimations, dont 9,5 milliards de dollars dévolus au secteur de la santé. Les domaines d’action étaient divers : vaccination, lutte contre le paludisme, contre le VIH.
Si le passé est utilisé, c’est parce que l’administration Trump est entretemps arrivée au pouvoir. Quelques semaines à peine après le début du second mandat du président étasunien, les programmes d’aide étrangère liés à la santé (entre autres) sont suspendus. 83% des programmes de l’USAID sont supprimés en mars 2025. Des mesures contestées en justice, mais qui pourrait signifier, en cas de mauvaise tournure, des coupes de « 88 % dans l’aide à la santé maternelle et infantile, 87 % dans la surveillance des épidémies et 94 % dans les programmes de planification familiale et de santé reproductive », selon l’étude parue dans The Lancet.
C’est dans ce contexte que des chercheurs ont mené une étude visant à offrir une évaluation globale de l’impact du financement total de l’USAID sur la mortalité dans 133 pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI) au cours des vingt dernières années. Une étude qui permet en outre d’estimer les effets potentiels des coupes actuelles sur la mortalité globale et infantile d’ici 2030.
92 millions de morts évitées en 20 ans
Sans revenir sur la méthode employée – l’article du Lancet ravira certainement les plus curieux – les chercheurs ont calculé le taux de mortalité standardisé par âge dans la sélection de PRFI. En 2001, ce taux était de 11,65 décès pour 1.000 habitants. Il a diminué de 13% entre 2001 et 2021. La mortalité des enfants de moins de cinq ans, quant à elle, était de 73,71 décès pour 1.000 habitants. Un chiffre qui a diminué de 49% en 20 ans.
Comme supposé, c’est là où les financements par l’USAID étaient les plus élevés que les chercheurs ont constaté une mortalité plus faible. « On estime que 91.839.663 décès toutes causes et tous âges confondus, dont 30.391.980 décès d’enfants de moins de 5 ans, ont été évités grâce au financement de l’USAID pendant la période étudiée. »
Pêle-mêle, les résultats montrent que les financements de l’USAID ont permis d’observer une réduction de nombreuses infections et maladies telles que le VIH (-65%), le paludisme (-51%), les maladies tropicales négligées (-50%), ainsi que les maladies diarrhéiques, les carences nutritionnelles, les infections respiratoires basses, la mortalité maternelle et la tuberculose.
La cessation du financement aurait déjà causé, d’ici mi-avril 2025, 62.557 décès adultes et 130.535 décès d’enfants, soit 103 décès par heure.
Selon les chercheurs, la baisse du financement de l’USAID entraînerait déjà, en 2025, 1.776.539 décès supplémentaires toutes causes confondues (dont 689.900 décès chez les enfants de moins de cinq ans). « Pour le reste de la période étudiée, l’arrêt total du financement de l’USAID pourrait provoquer 2.450.000 décès supplémentaires chaque année, conduisant à un total cumulé de 14.051.750 décès supplémentaires, dont 4.537.157 décès d’enfants de moins de cinq ans d’ici à 2030 », complète l’étude.
Un changement de cap aussi en Belgique
« L’impact de l’USAID sur la santé dépasse largement ses seuls financements de programmes sanitaires : une part substantielle de son influence découle d’améliorations des déterminants sociaux de la santé, en particulier chez les populations les plus pauvres », notent les auteurs de l’étude. Par exemple, chaque année supplémentaire de scolarisation réduit le risque de mortalité adulte de 1,9 %. Ou encore : une mère ayant terminé le secondaire peut réduire jusqu’à 31 % le risque de mortalité de son enfant de moins de cinq ans.
« Depuis l’annonce de la suppression de plus de 83 % des programmes de l’USAID, les organisations humanitaires alertent sur l’absence de plan de transition, empêchant toute adaptation progressive. Les conséquences à court, moyen et long terme sur la santé publique, le développement économique et la stabilité sociale pourraient être profondes », mentionnent encore les auteurs.
Il est également important de rappeler que les États-Unis ne sont pas les seuls bailleurs à diminuer l’aide publique au développement. Le Royaume-Uni (-40%), la France (-37%) mais aussi…la Belgique (-25%) font partie des pays qui ont diminué leur participation. Raison pour laquelle l’OCDE estime que l’aide publique au développement pourrait chuter de 9 à 17 % en 2025.
Malheureusement, le retrait du plus grand pourvoyeur mondial est le plus radical et le plus délétère à long terme. « Notre étude démontre le rôle fondamental du financement de l’USAID dans la réduction des taux de mortalité dans les pays à revenu faible et intermédiaire au cours des vingt dernières années », concluent les chercheurs. « Les réductions budgétaires brutales actuellement en cours pourraient non seulement causer des millions de morts évitables, mais aussi effacer des décennies de progrès en matière de santé et développement humain – compromettant gravement l’atteinte des Objectifs de développement durable d’ici 2030. »
Source: Evaluating the impact of two decades of USAID interventions and projecting the effects of defunding on mortality up to 2030: a retrospective impact evaluation and forecasting analysis, Cavalcanti, Daniella Medeiros et al. The Lancet, publié en ligne le 30 juin 2025. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(25)01186-9