Et voilà la taxe sur les plus-values !
Elle existe un peu partout, mais la Belgique fait jusqu’ici exception. Plus pour longtemps, puisque la taxation de la plus-value réalisée sur les actifs financiers entrera en vigueur l’an prochain dans notre pays. Elle vise les investisseurs mais aussi les « entrepreneurs », soit aussi les nombreux indépendants exerçant leur activité en société. Avec des modalités particulières… dont une large exemption.
C’est par milliers que des citoyens français se sont établis en Belgique pour des raisons fiscales. On cite généralement à ce sujet les héritiers de grandes familles détenant des participations dans des entreprises de renom, ou des entrepreneurs ayant fait fortune. Ce qu’ils viennent chercher chez nous ? L’absence d’impôt sur la fortune, bien sûr. Ce mouvement appartient toutefois largement au passé, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ayant été supprimé en 2018 par le président Macron (et remplacé par l’IFI, impôt sur la fortune immobilière).
En réalité, ces exilés fiscaux français étaient encore plus nombreux à vouloir échapper à la taxation de la plus-value réalisée lors de la vente de leur entreprise. Des entrepreneurs ayant débuté modestement et dont la PME valait par exemple 10 ou 20 millions d’euros au moment où ils souhaitaient passer la main. Avec une plus-value quasiment équivalente au prix de vente, la tentation était grande de se domicilier en Belgique pour y réaliser la transaction, la taxation ainsi éludée équivalant aisément au prix d’une coquette seconde résidence ! Ceci aussi appartient largement au passé, la France ayant fortement serré la vis. Est-ce pour cela que la Belgique a décidé d’instaurer elle aussi une taxe sur les plus-values ?
La taxe Reynders subsiste
Soulignons d’emblée, à titre un peu anecdotique, qu’il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que notre pays ne connaît pas la taxation des plus-values. Elle existe en effet sur celles réalisées par les fonds détenant au moins 10 % d’obligations. Instaurée en 2006 par Didier Reynders, alors ministre des Finances, elle se monte à 30 %. Elle restera au demeurant d’application à l’avenir, contrairement à ce qu’on espérait au départ, dans une volonté de simplification. Il est vrai qu’en Belgique, on ne simplifie jamais la fiscalité, soupirent les professionnels, même si on le promet régulièrement…
De nombreux fonds sont qualifiés de mixtes, parce qu’ils détiennent à la fois des actions et des obligations. Tandis que ces dernières continueront donc à être soumises à la taxe Reynders, les premières le seront dorénavant à la nouvelle taxe sur les plus-values. Car telle est la grande (mais pas joyeuse pour autant…) nouveauté promise pour 2026. Au taux de 10 %, elle s’appliquera à l’ensemble des actifs financiers, des actions et obligations aux crypto-monnaies, en passant par les fonds, mais aussi les assurances d’investissement. Ne sont pas visés : les comptes d’épargne, comptes à terme, ainsi que les produits bénéficiant d’un avantage fiscal, comme l’épargne pension et l’épargne à long terme, sans oublier les assurances de groupe.
Pas de report de l’exonération
Le gouvernement a tenu à faire un geste en faveur du « petit (ou moyen) investisseur » en accordant une exonération de 10.000 euros par an. Ne pas en faire usage durant une année signifie toutefois la perdre à 90 %. Il n’est en effet pas possible de reporter cette exonération à une année ultérieure. Par contre, une année «sans» donne droit à un supplément d’exonération de 1.000 euros pour les années suivantes. Une période cependant limitée à 5 ans. Donc, si vous n’utilisez par l’exonération pendant 5 ans, vous avez droit à 15.000 euros exonérés la 6è année. Mais ce ne sera jamais plus !
Et qu’en est-il des moins-values ? Certains ont craint qu’elles ne soient pas déductibles. Il faut avouer que c’eût été un peu violent ! Et sans doute passible d’un recours victorieux en justice. Les moins-values subies seront donc déductibles, mais avec deux limitations. D’abord, ici non plus, pas de report possible d’une année à l’autre : la moins-value ne peut venir en déduction d’une plus-value que durant la même année. Ensuite, plus surprenant : la moins-value ne pourrait compenser une plus-value que dans la même classe d’actifs. En clair, la moins-value réalisée sur une action ne pourrait pas venir en déduction de la plus-value réalisée sur une crypto-monnaie. Ici plus qu’ailleurs, le conditionnel s’impose, car si les grandes lignes de la taxe sont connues et probablement acquises, rien n’a encore été gravé dans le marbre à l’heure d’écrire ces lignes. Des ajustements sont possibles.
Vendre… pour racheter aussitôt
Il ressort clairement de ce qui précède que l’investisseur qui vend, une action par exemple, en réalisant une plus-value (de plus de 10.000 euros) a tout intérêt, pour diminuer ou même annuler cette plus-value et donc son imposition, à vendre également l’action sur laquelle il subit une moins-value. Détail pratique : dans la mesure du possible, il fera naturellement en sorte de compenser l’un par l’autre. Sauf à craindre une nouvelle chute de cours, inutile de vendre un poste sur lequel on perd 20.000 euros si la plus-value excédentaire de cette même année ne se monte qu’à 10.000 euros. Autant conserver le solde pour l’année suivante, dans le but de neutraliser une autre plus-value. Dans un même souci d’optimisation fiscale, et à défaut de moins-value compensatrice, il sera judicieux de vendre en deux fois (c’est-à-dire deux années différentes) un poste sur lequel la plus-value atteint 20.000. Sauf, ici aussi, à craindre une baisse de cours.
Ces petits « jeux » seront une grande nouveauté pour l’investisseur belge. Dans d’autres pays, c’est de la routine. Ainsi les Américains sont-ils familiers des wash sales, ces ventes de titres avec perte… rapidement suivies d’un rachat. Voilà une information intéressante : vous ne vouliez pas vendre cette action à perte, espérant un rebond du cours ? Pas de souci : vous la rachetez aussitôt. La perte étant actée par la vente, elle est déductible d’une plus-value. Plus facilement d’ailleurs qu’aux Etats-Unis, où la perte ne peut pas être déduite automatiquement.
La photo du 31 décembre
Sur quelle valeur le fisc se basera-t-il pour mesurer la plus-value ? A question simple, réponse simple : sur le cours ou la valeur au 31 décembre 2025, souvent appelé « photo ». Un investisseur pourrait se faire du souci si la valeur du fonds qu’il revend 120 euros était alors descendue à 80 euros par exemple, alors qu’il l’a payé 100 euros. Il devrait en effet payer une plus-value sur 40 euros, alors qu’elle n’est en réalité que de 20 euros. Dans sa grande bonté, le gouvernement a prévu une telle situation, permettant à cet investisseur de faire état d’un prix d’achat supérieur en remontant jusqu’à 5 ans en arrière. À noter par ailleurs que ni une donation, ni un héritage ne sont considérés comme une transaction et échappent dès lors à la taxe sur les plus-values.
Le taux de 10 % n’a pas soulevé une vague de protestations véhémentes, beaucoup le jugeant raisonnable, d’autant qu’il est souvent plus élevé à l’étranger. Avec une réserve cependant : une fois qu’un impôt ou une taxe est instauré, il est très facile d’en modifier (lisez : augmenter) le taux. Ainsi le précompte mobilier, qui est de 30 % depuis 2017, se situa tout un temps à 15 % seulement…
Statut spécial pour les entrepreneurs : de 0 à 10 %
La taxe sur les plus-values ne concerne pas seulement l’investisseur en produits financiers. L’entrepreneur qui revend son entreprise est également concerné, mais dans un cadre tout différent. On a compris que l’entrepreneur en question n’est pas nécessairement le créateur d’une entreprise industrielle ou commerciale, mais sera aussi le titulaire de profession libérale exerçant son activité en société. Dans une volonté de ne pas décourager l’entrepreneuriat, il lui est accordé une exonération de 1 million d’euros et des taux ensuite progressifs de 1,25 % jusqu’à 2,5 millions, de 2,5 % jusqu’à 5 millions et de 5 % jusqu’à 10 millions. Ce n’est qu’à partir de ce dernier seuil que le taux normal de 10 % est appliqué. Avec une plus-value de 10 millions, on peut sans doute s’en accommoder…
Si ces dispositions semblent généreuses, elles s’accompagnent toutefois d’une importante restriction : ces tarifs ne valent que pour une personne détenant au moins 20 % de l’entreprise. À titre personnel donc, et non en tenant compte de la famille proche, comme c’est le cas aujourd’hui dans certaines dispositions.
Sur le plan technique, la législation prévoit expressément une formule pour calculer la valeur de l’entreprise non cotée : les fonds propres + 4 fois l’EBITDA, le résultat brut d’exploitation. Elle ne conviendra clairement pas à tout le monde. Alternative : faire appel à un réviseur pour évaluer cette valeur. Ce n’est pas gagné, ont prévenu plusieurs fiscalistes : la valeur en question doit être fournie à l’administration pour le 31 décembre 2026, alors que les comptes 2025 ne seront souvent pas disponibles avant plusieurs mois. Les réviseurs risquent donc d’être débordés !