DAWS, un témoignage glaçant
NEUROLOGIE Le syndrome de sevrage aux agonistes dopaminergiques (DAWS) peut parfois s'assimiler à un chemin de croix.
La physiopathologie du syndrome des jambes sans repos (SJSR) reste coiffée de points d'interrogation. Aussi, malgré l'existence de guidelines, la prise en charge des patients demeure-t-elle hésitante. Une chose est certaine, les agonistes dopaminergiques ne sont plus recommandés comme approche médicamenteuse de première ligne, et l'on peut dès lors s'étonner qu'ils soient encore régulièrement prescrits comme tels. Dans 75% des cas, ils conduisent à terme à une aggravation paradoxale du SJSR et à des troubles compulsifs. Un sevrage est alors nécessaire. Dans un nombre non négligeable de cas, celui-ci provoque un syndrome de sevrage, le DAWS, qui peut se révéler long et parfois catastrophique.
Ce fut le cas chez l'astrophysicien Michaël Gillon (ULiège). En proie à un SJSR, il a analysé en tant que « patient-chercheur » et relaté, à travers un article à paraître prochainement dans une revue médicale et dont une version préliminaire est publiée en open-access [1], la manière cataclysmique dont il a vécu un DAWS. Son but ? D'une part, mettre en évidence que ce syndrome peut survenir même quand le sevrage porte sur des agonistes dopaminergiques prescrits à faible dose – c'était son cas – et que le stress relationnel, ainsi que les changements médicamenteux peuvent en exacerber la sévérité. D'autre part, sensibiliser le corps médical à une problématique qui semble largement méconnue et, in fine, stimuler un appétit pour l'exploration de nouvelles pistes de recherche.
L'astrophysicien Michaël Gillon analyse en tant que « patient-chercheur » la manière cataclysmique dont il a vécu un DAWS.
Une torture
C'est vers 2005 que le directeur de recherche du FNRS (51 ans aujourd'hui) s'est vu diagnostiquer des symptômes légers de SJSR. On lui dispensa des conseils d'hygiène de vie, comme éviter l'alcool ou le café. Au fil des ans, ses symptômes ne firent toutefois qu'empirer. Et en 2020, une étude de son sommeil mit en lumière un SJSR sévère de même qu'un syndrome d'apnées du sommeil. « Mon neurologue m'a prescrit de la gabapentine, mais elle m'occasionnait des cauchemars à répétition, puis, en remplacement, de la prégabaline, dont les effets secondaires étaient une somnolence diurne et des troubles de la mémoire », rapporte-t-il. La prégabaline soulageait partiellement ses symptômes de SJSR, mais en raison des effets indésirables ressentis, il lui fut proposé en 2021 de l'abandonner au profit d'un agoniste dopaminergique, le pramipexole.
Dès 2022, les symptômes de SJSR n'ont fait que s'aggraver notablement. Plus forts qu'auparavant durant la nuit, ils se manifestaient désormais également en journée, au point qu'aller au cinéma ou prendre un avion était devenu une torture. Comme Michaël Gillon était également sous venlafaxine depuis 30 ans dans le cadre d'une fibromyalgie qui n'était plus symptomatique depuis plus de 20 ans, un sevrage progressif de cet antidépresseur qui favorise le SJSR fut appliqué. Avec un certain succès. Le neurologue suggéra par ailleurs le passage à du pramipexole à effet retard (libération prolongée) afin de garantir une concentration plus stable de la substance dans le sang. « Ayant lu sur Internet que de nombreux patients étaient contraints d'augmenter sans cesse les doses d'agoniste dopaminergique, j'étais néanmoins convaincu que je devais arrêter ce type de médicaments. Ce que j'ai commencé à faire en 2023 », relate Michaël Gillon.
Le spectre du suicide
Il fit l'impasse sur une dose de pramipexole à la fin du mois de juillet 2023. À la suite de quoi il ressentit « des symptômes aigus : sensations électriques dans le bas du dos, tremblements pelviens et panique ». La réintroduction de l'agoniste dopaminergique a toutefois rétabli la situation. Le sevrage proprement dit débuta en août sans plan précis, avec une réduction de 50% de la dose du médicament (0,13 mg/jour, au lieu de 0,26 mg/jour), qui fut assez bien tolérée. Tout bascula au début du mois de septembre : douleurs neuropathiques, tremblements, pleurs, aggravation du SJSR, sudation abondante, dépression, akathisie… De nouveau, une réintroduction de l'agoniste tempéra ces symptômes. Mais peu après, malgré la présence du médicament, le tableau clinique se détériora de plus en plus, avec notamment des décharges électriques insoutenables dans le dos, et nécessita en octobre une hospitalisation en psychiatrie, service censé gérer les sevrages de médicaments psychotropes. Comme il était confronté à de sévères problèmes de sommeil, Michaël Gillon fut placé sous benzodiazépine. Quant au pramipexole, il fut interrompu brutalement.
Le lendemain du sevrage complet, le patient s'entendit annoncer qu'il était guéri. Deux jours plus tard, il put quitter l'hôpital. Une fois chez lui, les symptômes se sont très rapidement accrus de façon catastrophique, avec d'intenses douleurs neuropathiques et des idées suicidaires. « J'avais des trous de mémoire, j'étais dans un état de panique permanent, je tremblais, j'avais des nausées, des acouphènes, des douleurs partout, je transpirais énormément, je voyais flou, j'étais en pleine dépression », confesse-t-il. Réhospitalisation (du 6 au 20 novembre 2023) dans le service de neurologie cette fois, où l'on identifie enfin un DAWS et décide de pratiquer un sevrage des agonistes sous contrôle à raison de 10% par mois.
Dans un premier temps, une dose d'agoniste dopaminergique environ deux fois supérieure en équivalents L-Dopa à la dose initiale de pramipexole lui est administrée sous la forme d'un patch de rotigotine. De la prégabaline, du tramadol, un anticoagulant (contre le SJSR) et deux benzodiazépines sont prescrits, tandis que, élément clé, est mis en œuvre le sevrage (sous contrôle) des agonistes. « Le protocole défini consistait à me sevrer progressivement, en plusieurs années, de tous les médicaments, un à un. À ma demande, on commença par la rotigotine, dont le sevrage devait s'étendre sur dix mois. », dit Michaël Gillon.
À la fin de l'année 2023, il bénéficie d'une amélioration significative de son état, hormis des épisodes récurrents d'anxiété. Mais à partir de février 2024, la machine infernale se remet en marche et le conduit vers des crises paroxystiques. « J'avais notamment des douleurs neuropathiques insupportables qui parcouraient toute la colonne vertébrale. Elles me faisaient hurler. Mon état psychologique était au plus bas. »
Un autre élément est à greffer au « dossier » : la dégradation d'une relation de longue durée avec un proche. « Quand j’ai été confronté au DAWS, tout a basculé », souligne-t-il. « Ma relation avec cette personne s’est progressivement détériorée. Dans mon état de fragilité neurologique extrême, j’ai ressenti ce que j'ai interprété comme un manque de soutien et de compréhension, ainsi que des réactions que je percevais comme profondément déstabilisantes. Sans préjuger des motivations réelles de la personne, j’ai même interprété certains échanges comme une volonté de me rejeter brutalement et de me pousser vers une prise en charge psychiatrique. Chaque heurt amplifiait brutalement mes symptômes. À plusieurs reprises, ces épisodes émotionnels se sont soldés par des passages aux urgences. » Ce désarroi s'est encore exacerbé lorsque la relation susmentionnée vola en éclats en juillet 2024. De façon impulsive, Michaël Gillon interrompit totalement la prise de rotigotine. Peu après, il fit une première tentative de suicide. « Je n'ai jamais été de nature suicidaire », assure-t-il. « À mes yeux, c'est le DAWS qui m'a amené là – le reste n'a été que la goutte qui a fait déborder le vase. »
Mécanisme de kindling ?
Fin juillet 2024, un nouveau neurologue a réintroduit l'agoniste dopaminergique. Effet positif très éphémère. Il est alors question de revenir à la dose de départ. Le patient refuse. La sentence tombe : l'équipe soignante de l'hôpital ne peut plus rien lui proposer, il rentre chez lui le jour même. On lui donne les coordonnées d'un autre neurologue, mais il n'est pas disponible avant plusieurs mois.
Il trouve les coordonnées d'une neurologue anversoise, experte reconnue des sevrages difficiles aux agonistes.
Via un forum de patients, il trouve alors les coordonnées d'une neurologue anversoise, laquelle possède une expertise reconnue des sevrages difficiles aux agonistes. Il la consulte le 27 août 2024. Elle préconise entre autres d'augmenter fortement la dose de prégabaline (dans le cadre des douleurs neuropathiques et de l'anxiété) et represcrit de la venlafaxine. Une diminution très rapide de la rotigotine aboutissant à un sevrage complet fin septembre est mise en œuvre. Une perfusion de fer est réalisée. Cette fois, Michaël Gillon perçoit le bout du tunnel. « Depuis ce sevrage des agonistes, j'ai remonté la pente. J'abandonne progressivement l'ensemble des médicaments que je prenais. J'ai réussi à me sevrer des benzodiazépines et compte en faire de même pour le tramadol. Depuis six mois, je suis bien. » Il retravaille normalement à l'Institut d'astrophysique de l'ULiège. Sa dernière grosse rechute, qui a conduit à une seconde tentative de suicide, date de mars 2025.
Après s'être imprégné de la littérature scientifique et avoir analysé son cas en tant que « patient-chercheur », Michaël Gillon propose plusieurs conclusions. Primo, le DAWS peut survenir même à faible dose d'agonistes dopaminergiques et sa fréquence ainsi que sa sévérité sont sans doute sous-estimées. Secundo, les principes d'une bonne prise en charge du sevrage des agonistes dopaminergiques et du DAWS semblent largement méconnus par une fraction importante des neurologues, alors que deux experts américains ont établi un protocole de sevrage et que celui-ci lui fut appliqué avec succès au CHU d'Anvers. Tertio, l'errance médicale caractérisée par des changements médicamenteux intempestifs et paradoxaux alliée à des traumatismes psychologiques peut porter en germe une exacerbation des symptômes du syndrome de sevrage avec d'éventuelles retombées catastrophiques, telles des suicides. Cette exacerbation serait le fruit d'un mécanisme de kindling, selon lequel une exposition répétée à des stimuli (stresseurs, sevrages) peut entraîner une sensibilisation accrue de certains circuits neuronaux et, par la même, des réponses de plus en plus intenses à leur égard.
1. https://osf.io/rv8ms/files/osfstorage/691ef1c6a112b81eb8117081